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3 septembre 2011 6 03 /09 /septembre /2011 21:56

    Lorand Gaspar 

 

Choix de textes

 

Reprise d'un cantique profane sur le thème de l'exil et de l'étranger 

 

Non pas en exil.

Non pas étranger.

Solidaire des hommes et des bêtes

Solidaire des eaux, de la boue,

de la roche et des champs des forêts et forêts de constellations.

 

Graine de la grande tribu des sables et cailloux

de toute cellule vivante,

pétales de floraison dans le vent,

solidaire de la joie et de la douleur.

 

D’une patrie de pensée infinie

de toute connaissance limitée

clairières de notre pensée finie.

 

Solidaire d’une commune ignorance

de tous nos forages, explorations, recherches

de notre désir infini de comprendre —

de toute lumière et de promesse de lumière

qu’elle témoigne d’elle-même ou de la nuit,

de celle à certaines heures que respirent

au désert de Judée les pierres —

 

Solidaire d’une patrie de mouvement infini

des limites de nos ici et maintenant innombrables

 

Non, je ne suis pas en exil,

chez moi dans le jaillissement

dans la chute et dans l’usure

dans le diamant et la pacotille

chez moi dans la jubilation des eaux et des airs

et comment parler du mouvement sans bornes

sous les averses d’averses de photons

les vitesses de tant de rayonnements

dans la fraîcheur fragile du verger en fleur

rencontré ce matin de février sans nombre

dans l’éventail d’années et d’années de lumière —

je suis le marcheur qui respire l’ouvert

de tous ses poumons et dont le corps-cerveau

compose des images, musiques et langues,

je suis celui qui chante dans le chant

hors métrique et hors vocabulaire

les matins de toute vie et les soirs

et les nuits de solitude peuplées

de pensées qui s’envolent de leurs fenêtres

de tout ce qui se déplie, telles les eaux

que parcourt un battement d’aile dans la nuit

de l’eau solidaire de celui qui dort,

comme de celui qui écoute le poème au-dedans, au-dehors

*

 

J'ai seulement des choses très simples

le soleil s'est découpé peu à peu comme

ma mère découpait le pain

nous mettons la soupe sur la table

(ces choses au-dehors qui tombent lentement,

le jasmin, la neige, l'enfance)

goût de piments rouges et de dents heureuses

nos corps nous tiennent encore chaud quelque temps

dans l'âge avancé de la nuit.

 

Le quatrième état de la matière, Flammarion

*

 

Bonjour à toi qui viens de nuit.

Bonjour à toi démarche souveraine qui fends la pulpe du

soleil.

Bonjour à toi dans la poussière.

Tout ce jour à t'user, à l'user.

Aux os de ta fatigue.

Lorsque la lumière se voûte sur un puits -

Paix, les bruits se posent.

Ah, comme l'oreille se lisse!

Bonne nuit à toi qui viens de lumière, qui viens silence.

Comme une ultime paupière de couleur ou de son

Tu migres en profondeur, laissant le jour blafard sur la

table de l'embaumeur.

 

Sol absolu Gallimard

*

Langue natale

 

Les contraires qui sont battement au cœur du monde, la

parole les porte à déchirure.

Dans la dislocation que plus rien ne guérit, la ferveur d'une

langue dévore son avenir.

Fouet d'une phrase sans équivoque.

Ici s'est tenue la lumière d'un arbre, là s'est dissoute la venue

d'un pas.

Dans le buisson des cris le dieu se creuse de mutisme.

Quelque flamme que tu portes - si peu cette eau qui s'évapore.

Fraîche amertume du sel dans les plis de lumière.

 

Approche de la parole, Gallimard

*

le blé des corps dans la meule des ans

farines que mélangent les lois éternelles

pour d'autres pains et d'autres dents

la nuit tu tâtes soudain sans comprendre

la peur qui fouille au ventre des images

cherchant à clore sur soi le mouvement

et ces eaux nues de l'ardeur d'aller

encore et encore plus loin dans l'ouvert?

(et même et surtout quand la nuit se referme)

 

Patmos et autres poèmes, Gallimard



VOICI DES MAINS


Voici des mains
Pose-les dans une brève secousse de ton corps
avec un pot de basilic
et l’espace fouillé des oiseaux,
quand l’aube sur nos corps mouillés
les doigts sentent encore l’origan.

Dans ma bouche les mots crèvent de froid
Dans les grandes chambres inhabitées de ma voix
Le blond friable des collines
Personne ne sait
Le destin des couleurs en l’absence des yeux.

Tout s’arrête
décembre désert
les bras lourds.
La lumière se cherche sur nos mains
Et soudain tout est plume
On s’envole comme une neige à l’envers.

Je tiens ma vie comme
Un morceau de pain
Très fort
Les cent grammes du prisonnier de guerre
Et souvent j’ai si faim
Qu’à peine il en reste
Et les choses se colorent
De peurs merveilleuses.

 

 



Dans les yeux d'une femme bédouine qui regarde
L'objectif d'un appareil pas visible sur la photo,
Non plus que la concrétion de temps et de technique ainsi marchandée
À beaucoup de sa vie difficile et fragile,
Dans son regard entre une toile de tente et nulle part,
On voit très bien le mouvement des yeux couleur de lointain
De l'écrivain qui n'a pas su résister
Au désir de photographier. Est-ce qu'on va comprendre vraiment
Ce que cette femme a donné à l'amitié rusée
De son geste ; même si elle n'a pas su
Que l'appareil la regardait ? Tout un léger théâtre de presque rien; et maintenant cette autre énigme: ce qui est échangé
À travers ce qui est montré.



James Sacré/Lorand Gaspar (photographies de), Mouvementé de mots et de couleurs, Le temps qu'il fait, 2003, page 16.------------------------------------------------------------------------------------------

 



DEPUIS TANT D’ANNÉES…

Depuis tant d'années je lave mon regard
dans une fenêtre où ciel et mer
depuis toujours sont sans s'interrompre
où leurs vies sont un, sont innombrables
sont une fois encore dans mon âme
un champ magnétique d'épousailles
une goutte de lumière-oiseau.

Depuis tant d'années je lave mon regard
à la première couleur si fraîche
sur les lèvres humides de nuit
d'être la peau et d'être la pierre
où mes doigts rencontrent le secret,
ce savoir qu'ils sont et celui qui est
des tonnes infinies de lumière.
Du plus pâle au tranchant du plus sombre
sans s'interrompre entre sang et pensée
entre feuille pinceau étendue
corps de liquide musique à jamais

Lorand Gaspar, Cahier Lorand Gaspar, Cahier Seize, éditions Le Temps qu’il fait, avril 2004, page 71.

 

Écailles

 

Mort où tant de vie s’égare

de nos faibles yeux abandonnée.

Torrent tu nous étonnes

étincelant et boueux

de bouche en bouche

le doux et l’amer

cailloux et bois

achevés repris.

Ces photos floues

que le temps a bougées.

La lumière se cherche sur nos mains

et soudain tout est plume

neige neige —

 

Le même vent traîné dans le feu

la même nuit avec la même texture de branches

d’un bonheur inavoué.

La même croissance dans les gestes

et l’effeuillement des mains sur la peau

trouées soudaines dans les formes

quand l’espace nous entend —

 

Nous avons vécu tout juste

le temps de ce poids

de tout ce qui sans plainte se déchire

ta vue hier soir

et ces tout petits ports des yeux

les paupières repeintes.

 

[…]

 

Lorand Gaspar, Sol absolu et autres textes, Poésie / Gallimard, 1982, p. 67-69.

Il regardait la tourmente saisir

à bras-le-corps et jusqu'au fond des eaux

murmurant quelque chose sur le vent

qui vendange le raisin de la mer -

ces puits d'air et d'espace où plonge

ailes repliées l'ange sans merci

éclair de beauté qui perce la nage

et dévore la pulpe de l'éclat,

la chair vive d'un mouvement de Dieu -

l'esprit du vent tendu entre les lames

dans chaque battement du corps à corps

sur les touches de l'immense clavier

martèlement au coeur de la pensée -

le beau est-il séparable du vrai ?

fruits, saveurs, et si claires dissonances

lavez, lavez encore nos images

.

 

LORAND GASPAR

 


Monastère

Peut-être une faille qu'ouvrait
Dans le flanc rocheux le silence

souffle qui fut là de toujours
poumon clair d'esprit dans la pierre

levant le pain très blanc d'un cri
dans le corps sombre des basaltes –

fenêtre éclose dans nos mots
l'esprit indivis parlant à l'esprit

un troupeau paisible de chèvres
broute l'odeur du vent salé

falaise et mer, corps et visages
plis et creux d'un même rayonnement

le mutisme soudain des eaux
dépliant d'un coup l'inimaginable –

Lorand Gaspar      
      





il y a si longtemps que j'essaie
de toucher la nuit les fronces légères
que fait l'eau dans le silence —

toucher dans le corps frileux, froissé
le souffle de Dieu sur les eaux
cette chose qui éclaire mes images
et parfois de si loin les déchire

les yeux de nuit un instant grand ouverts
regardent chaque son ou battement brûler
d'un insoutenable qu'il faut soutenir —


Lorand Gaspar .Extrait « Patmos et autres poèmes », Paris : Gallimard, 2001


POÈMES D’ÉTÉ À SIDI-BOU-SAÏD
à Roger et Patricia Little

Ecriture ample, d’un seul trait qui démontre sa source

    et son élan – martinets –

se dépliant par d’immenses caresses, épousant les pleins,

    les creux et les failles du corps invisible des vents.

Tant de tiges qui s’élancent, se plient et se déplient, se

    cassent sans se rompre, d’un même mouvoir en lui-même enraciné,

mouvoir, telle une pensée lisible un instant sans mot et

    sans trace

coulé dans la pleine jouissance de son être indivis

tout un ciel d’afflux de sèves, de rumeurs d’éclosion

ô certitude d’être ici sans reste exprimé dans son faire !


Plongées et rejaillissement souples, toujours légers,

    infiniment légers,

torsades et dislocations tracées avec la même assurance

    fluide,

comme si le mouvement de la vie, sa trajectoire

    incalculable se dépliaient

dans la substance même d’une infrangible unité –


Le gracieux don de bâtir ces hautes voûtes éphémères

    où résonne

mêlé aux brefs appels pointus le bonheur du regard

    d’habiter

ces traits qui volent et dessinent leurs arcs innombrables

               lumière sur lumière –


C’est la seule écriture que tu puisses lire aujourd’hui.

Comme si ta rétine et les neurones gris où s’élaborent

et se dissolvent ces dessins purs d’un seul élan tracés

(dans le bruissement discret de courants et de chimies)

comme si les pins fins rameaux de ton souffle et de ton

    sang

tout ce que ton esprit croit comprendre et ignore,

les espaces et une pensée infiniment ouverts

étaient fondus dans le même déploiement

en cette musique où chaque note est un cœur

au rythme, harmoniques et timbre singuliers –


Sois tolérant pour tes failles et faiblesses,

accueille le silence dans les mots qui s’accroît

tout comme le dépouillement des vieux jours

rappelle-toi ce que tu as perçu d’invisible au désert –

la brise du petit matin cueille en passant

l’odeur des genêts et soulève le rideau


Poème extrait de Patmos, Gallimard, 2001

 



Lumière de loin

Je voudrais t’insuffler la fraîcheur
Capillaire par capillaire
Que t’enfante le glissement de l’air
Et le resserrement des papilles

Te faire des mots verts
Au matin des mots
Que tu ais envie de toucher
De broyer

T’écrire avec les ongles
Dans l’age paresseux des roches
Dans les yeux
Te convaincre de la terre

Lorand Gaspar .Sol absolu


LANGUE NATALE

Les contraires qui sont battement au cœur du monde, la
parole les porte à déchirure.
Dans la dislocation que plus rien ne guérit, la ferveur d'une
langue dévore son avenir.
Fouet d'une phrase sans équivoque.
Ici s'est tenue la lumière d'un arbre, là s'est dissoute la venue
d'un pas.
Dans le buisson des cris le dieu se creuse de mutisme.
Quelque flamme que tu portes - si peu cette eau qui s'évapore.
Fraîche amertume du sel dans les plis de lumière.

Approche de la parole, Gallimard



VOICI DES MAINS


Voici des mains
Pose-les dans une brève secousse de ton corps
avec un pot de basilic
et l’espace fouillé des oiseaux,
quand l’aube sur nos corps mouillés
les doigts sentent encore l’origan.

Dans ma bouche les mots crèvent de froid
Dans les grandes chambres inhabitées de ma voix
Le blond friable des collines
Personne ne sait
Le destin des couleurs en l’absence des yeux.

Tout s’arrête
décembre désert
les bras lourds.
La lumière se cherche sur nos mains
Et soudain tout est plume
On s’envole comme une neige à l’envers.

Je tiens ma vie comme
Un morceau de pain
Très fort
Les cent grammes du prisonnier de guerre
Et souvent j’ai si faim
Qu’à peine il en reste
Et les choses se colorent
De peurs merveilleuses.




Lorand Gaspar




"La gorge peut délivrer le silence, le chant, la parole ou le cri d’angoisse quand elle se
resserre sur son souffle le plus désespéré ; “ce rien qui coule” est entre vie et néant ;
la “houle emporte” pour perdre comme pour sauver… La “ligne de partage” est parfois à
peine discernable entre la tempête qui ravage au-dehors et le “bonheur d’entendre le
vent au-dedans —” ( ). “Tant de choses incomprises”, et qui le restent selon l’art trop
ordinaire du comprendre, n’interdisent pourtant pas l’effort d’un “com-prendre” — attentif,
presque muet, poétique en un mot — où, en soutenant l’insoutenable, “l’être ici”
(parfois “cinglant”, parfois plein d’“ardeur”, magnifique parfois) s’harmonise un instant
avec “la force tranquille d’être là des choses” dans “l’indessinable/ pure jouissance
d’être” un instant seulement…


Lorand Gaspar


Un soir devant la cheminée à Saint Rémy du Val                                 


Craquement épars
Décousus hérissés du bois
De loin en loin le tracé
Rouge d’un tir les éclats
            

D’une langue oubliée ou qui sait
A l’état de tessons, bris de
Bonds, de rumeurs et de vents
Stellaires ou le simple
Froissement de nos silences               

Prennent-ils le feu aussi à un moment
Ces flammes sont-elles comme une danse
Qui cherche ses racines dans la nuit
Vécues, senties au long d’un vie            

Dehors la nuit est blanche,
Dans l’âtre, ardent et fragiles
Battements de braise de nos vies-         

Des flocons de neige bougent
Dans les blancs de nos livres
Peut-être dans les mots
De temps à l’autre que l’on dit –                        

Lorand Gaspar

 

 


Soleil essoufflé

Toi soleil coureur essoufflé
couché bouche à bouche sur les eaux

sur la mer ouverte à tous vents
la barque de nos mains dérive

or fumé, brûlé des visages
dans la pénombre des années
gardant au-dedans ses lueurs -

musique
nos doigts raclent
des cordes invisibles
dans la lumière dissoute
chaude étoffe arrachée
à l'hiver -

Lorand Gaspar .Patmos et autres poèmes (Gallimard, 2001)

 

 

 

 

Lorand Gaspar

 

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