VOIX MULTIPLES
Le cœur en tollé
L'âme craquante
Affronte le jour
Andrée Chedid, Fraternité de la Parole, Flammarion 1976, 108 p., p. 97
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(mai 2004 – juillet 2005)
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Je me feuillette
En marge
De ma propre vie
De l'autre côté
De mes miroirs
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Je me raconte
Pour tisser
D'autres rêveries
Page après page
Je m'effeuillette
Ligne après ligne
Jusqu'à me dénuder
Je dors sous une tonnelle
Je regarde le temps passer
Andrée Chedid, L'Etoffe de l'univers, Flammarion 2010, 153 p., p. 45
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Torpeurs et mouvements
Une épidémie de neige
surmène la ville
La vieillesse se déverse sur le temps
(…)
Andrée Chedid, Cavernes et soleils, Flammarion 1979, 169 p., p. 33
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La Mort devant
1.
Avec la Mort devant
l'homme franchit l'écorce
touche à la moelle
afflue vers le cœur
Son œil retrouve grain
ses pas rabattent les pièges
Sa main ajuste la clef
4.
Aucune main ne tient la terre
Aucun regard ne la contient
Si Dieu est
il ne sait point se dire _______
Sur nos sols
battus d'orage
bordés de phares
heurtés de rêves
Aucune grille ne ferme le temps
5.
Avec la Mort devant
la terre mâche fleurs et cris
l'argile recouvre les remparts
(…)
La plaine s'est dilatée.
10.
(…)
Avec la Mort devant
Ce qui a son
Résonne
Andrée Chedid, Cavernes et soleils, Flammarion 1979, 169 p., p. 71 sqq
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une halte
La source certains soirs
S'amorce loin des ornières
Le présent consume la mémoire
Sans blesser
Tout nous comble certains soirs
Même nos cités d'asphalte
L'eau multiple ces soirs-là
Nous donne ressemblance
Un songe à gouverner
Et l'amour comme une halte.
Andrée Chedid, Fraternité de la Parole, Flammarion 1976, 108 p., p. 31
Où est ma terre ?
(pour Matthieu Baumier)
Mon pays est partout
Sur toutes les terres du monde
Il est dans l'autre part
Il est dans l'ailleurs
Mon pays est partout
Au bord des alentours
Dans la halte
Et l'étape
Dans le vivre
Et la demeure
Dans le plus loin
Et dans l'ici.
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Vieillir III
L'exil s'ouvre
Suivre hors des lois
Les chemins de campagne
Fuir deuil et ennui
Fuir la naissance du jour
Laisser l'arbre
À lui-même
Abandonner l'espace …
Abandonner l'espoir
Fuir encore et toujours
Dresser son âme
Sur la plus haute montagne
L'exil s'ouvre.
•••
Vieillir V
Cet abandon
Ce « mettre au monde »
Cette animation
Ce trop plein
Ce fil des jours
Cette destinée
Ces évènements
Oubliés.
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Laisser
Je plante là ma vie
Qui m'encombre
Se rabâche
Et me fuit
Je l'égare, la dépose
Et l'abandonne
Elle m'importune
Je cède et la ressaisis
Pour quelques jour encore
Pour l'imaginaire des choses
Et le langage des fruits.
Andrée Chedid, L'Étoffe de l'univers, Flammarion 2010, 153 p., pp 69, 99, 101 et. 109
Anthologie permanente : Andrée Chedid
À part le temps
Et ses rouages
À part la terre
En éruptions
À part le ciel
Pétrisseur de nuages
À part l’ennemi
Qui génère l’ennemi
À part le désamour
Qui ronge l’illusion
À part la durée
Qui moisit nos visages
À part les fléaux
À part la tyrannie
À part l’ombre et le crime
Nos batailles nos outrages
Je te célèbre Ô vie
Entre cavités et songes
Intervalle convoité
Entre le vide et le rien.
Andrée Chédid, Rythmes, Gallimard 2001, p. 71.
Regarder l'enfance
"Jusqu'aux bords de ta vie
Tu porteras ton enfance
Ses fables et ses larmes
Ses grelots et ses peurs
Tout au long de tes jours
Te précède ton enfance
Entravant ta marche
Ou te frayant chemin
Singulier et magique
L'œil de ton enfance
Qui détient à sa source
L'univers des regards"
Andrée Chedid, Epreuves du Vivant, cité dans Anthologie de la Poésie française du XXe siècle, Poésie/Gallimard 2000, p. 165
Nommer
Nommer
Foudre et limon
Ciel et terre
Confondus
Se nommer
Dans le bref
Entre la lueur
D'un chant
Et les serres
De la nuit.
Andrée Chedid, Territoires du souffle, Flammarion 1999, p. 128
III
Innombrables les terreurs
Immémorial le chant
Mais tu demeures debout
Face aux épreuves du jour
Aux assauts de l’Histoire
Aux mirages de l’avenir
Invincible sondeur
De l’énigme tenace
Et des arcanes de l’âme
Tu demeures debout
Homme innombrable
Au temps immémorial
Andrée Chedid, Par delà les mots, Flammarion 1995, p. 45
Remous
"Toutes ces brumes
Issues de nos chagrins
Tous ces orages
Qui bataillent entre nos tempes
Toutes ces ombres
Qui emmurent l'espérance
Tous ces cris
Qui entravent notre chant
Toutes ces craintes
Qui retiennent nos pas
Toutes les clartés
Qui naissent de ces remous !"
Andrée Chedid, Territoires du souffle, Flammarion 1999, p. 29.
Le fanal
Laquelle de nos nuits s’incline si bas
Qu’elle nous force à toucher cendres
Laquelle de nos nuits nous prend pour cible
Détisse ou rompt le jour
Comment retrouver l’aube
Et son métal dissous
Avec quoi reforger le fanal ?
De quel œil rivé sur l’horizon
Défier la carapace des ombres
De quel cri saluer l’éclair entrevu ?
Andrée Chedid, Textes pour un poème, 1949-1970, Flammarion, 1987, p. 222.
L’ALLÉE DES CYGNES
C’est une Allée des Cygnes
D’où les Cygnes sont absents
Semée d’autres oiseaux
Plantée dans la cité
Livrée à ses échos
Sillonnée de passants
Entre les bras de la Seine
Bercée par ses remous
Bordée d’arbres de péniches
Et de mouettes des vents
C’est une Allée des Cygnes
D’où les Cygnes sont absents
Passant plus que fugace
Je songe pas à pas
Au long de l’Allée des Cygnes
D’où les Cygnes sont absents
Au pont Mirabeau si proche
Qu’Apollinaire perpétua.
Andrée Chedid, Rythmes, Gallimard, 2003, p. 114.
Recueillir le grain des heures
Étreindre l’étincelle
Ravir un paysage
Absorber l’hiver avec le rire
Dissoudre les noeuds du chagrin
S’imprégner d’un visage
Moissonner à voix basse
Flamber pour un mot tendre
Embrasser la ville et ses reflux
Entendre les sierras du silence
Transcrire la mémoire des miséricordieux
Relire un poème qui avive
Saisir chaque maillon d’amitié
Andrée Chedid, Par delà les mots, Flammarion 1995, p. 15.
Je reste émerveillée
Du clapotis de l’eau
Des oiseaux gazouilleurs
Ces bonheurs de la terre
Je reste émerveillée
D’un amour
Invincible
Toujours présent
Je reste émerveillée
De cet amour
Ardent
Qui ne craint
Ni le torrent du temps
Ni l’hécatombe
Des jours accumulés
Dans mon miroir
Défraîchi
Je me souris encore
Je reste émerveillée
Rien n’y fait
L’amour s’est implanté
Une fois
Pour toutes.
De cet amour ardent je reste émerveillée.
Andrée Chedid
Poème offert par Andrée Chedid au Printemps des poètes 2007
« Je est un autre. » Arthur R.
À force de m’écrire
Je me découvre un peu
Je recherche l’Autre
J’aperçois au loin
La femme que j’ai été
Je discerne ses gestes
Je glisse sur ses défauts
Je pénètre à l’intérieur
D’une conscience évanouie
J’explore son regard
Comme ses nuits
Je dépiste et dénude un ciel
Sans réponse et sans voix
Je parcours d’autres domaines
J’invente mon langage
Et m’évade en Poésie
Retombée sur ma Terre
J’y répète à voix basse
Inventions et souvenirs
À force de m’écrire
Je me découvre un peu
Et je retrouve l’Autre.
Andrée Chedid
Poème inédit commandé par le Printemps des Poètes 2008
J’ai ancré l’espérance
Aux racines de la vie
*
Face aux ténèbres
J’ai dressé des clartés
Planté des flambeaux
A la lisière des nuits
*
Des clartés qui persistent
Des flambeaux qui se glissent
Entre ombres et barbaries
*
Des clartés qui renaissent
Des flambeaux qui se dressent
Sans jamais dépérir
*
J’enracine l’espérance
Dans le terreau du cœur
J’adopte toute l’espérance
En son esprit frondeur.
Andrée Chedid
Poème publié dans l’anthologie Une salve d’avenir. L’espoir, anthologie poétique, parue chez Gallimard en Mars 2004
Je m’attache aux pulsations des villes
A leur existence mouvementée
Je respire dans leurs espaces verts
Je me glisse dans leurs ruelles
J’écoute leurs peuples de partout
J’ai aimé les cités Le Caire ou bien Paris
Elles retentissent dans mes veines
Me collent à la peau
Je ne pourrai me passer
D’être foncièrement :
Urbaine.
Andrée Chedid
Poème inédit commandé par le Printemps des Poètes 2006
l y a des matins en ruine
Où les mots trébuchent
Où les clés se dérobent
Où le chagrin voudrait s’afficher
Des jours
Où l’on se suspendrait
Au cou du premier passant
Pour le pain d’une parole
Pour le son d’un baiser
Des soirs
Où le cœur s’ensable
Où l’espoir se verrouille
Face aux barrières d’un regard
Des nuits
Où le rêve bute
Contre les murailles de l’ombre
Des heures
Où les terrasses
Sont toutes
Hors de portée.
Andrée Chédid Par-delà les mots.
L'ÉCUME
Sur la plage candide
L'écume lâcha sels et débris
Elle zébra de rainures
Le sable immaculé
Entama la soie de sa trame
Entailla le grain de son tissu
Sur les plages ingénues
Les vagues scellèrent leurs dissonances
Rythmant le sol
d'algues de nacre et de scories.
Andrée Chedid (1920-2011), in Au vif des vivants, Ed. Le verbe et l’empreinte, à Saint-Laurent du Pont, 1991.
En voici quelques extraits, toutes tirés de ‘Textes pour un poème’ :
(…) Près des fontaines où boivent les chevaux
Aux crinières des maïs
Des filles aux noms de jardins
Dansaient en cercles
Sur leurs jambes de chair
Autour des barques endormies
Entre leurs résilles bleues
Un enfant nu comme le sabl
Chante que la vie est ronde
Et son cœur de cristal (…)
( extrait de ‘Loin des ruelles exactes’).
Nos mains sont légères
Comme ailes sur un pré
Le grain est dans mon sang
Nos regards sont fertiles
Je traverse le miroir déchirant
Mais je n’ai rien trouvé
Que je ne cherche encore. (‘Il n’y a pas d’épilogue’).
(…) Qu’elle gronde la menace ! Qu’elle se plante en nous !
Nos vies surgiront de cette halte soudaine, toujours plus éprises du grand soleil perdu.
Légers ou noirs, les jeux s’oublient.
Seule demeure l’eau jaillissante accordée aux saisons ;
Et de cette eau, même la douleur est saine.
Il est temps de croire.
Temps d’accepter notre terre trop concise ;
Temps de se tourner, sans oraison, vers le cœur qui nous réserve tout.
(extrait de ‘Terre aimée’).
J’ai défait la solitude.
Il n’y a pas de chevet où je ne puisse m’asseoir,
Reconnaître en chacun le gisant superbe
Qui outrepasse les tombes et confond nos mémoires.
Les ténèbres de l’autre sont nos propres ténèbres
C’est notre œil qui rompt la durée.
Nous créons des sentences,
Nous nous livrons aux pièges,
quand l’épreuve est d’ENTENDRE :
Car tout nous est dicté.
(‘Face à l’enjeu’).
La vie
Secrète
L'insondable énigme
Le temps
Réduit
Cette aventure du souffle
A l'aune d'un sablier
En nos corps dissemblables
En nos visages divers
Quelle symphonie traduisons-nous
Quel récit, Quel livre ouvert
De notre chair si concrète
D'où tirons-nous lumière ?
Chaqun côtoie
Le fleuve des présences
Personne n'escorte
La mer.
Où la mer lentement progresse,
là-bas, reposent les îles.
Sur l'eau accablé de ténèbres,
l'homme recueillait les promesses
d'un soleil bientôt absent.
De ce temps-là, le vent des démesures se laissait boire,
les colonnes du silence veillaient.
Au loin, la mer délaisse son noueux combat ;
Embrasse l'île envoilée. Se confie, éprise.
Là-bas,
la terre ne parle pas pour rien.
Tantôt profanes tantôt magiques
Perclus d’ombres et d’élans
Equipés pour l’ascension
Comme pour la chute
Nous cheminons
Nous nous acheminons.
A chaque souffle qui se perd
Dans les marais de l’âme
A chaque force qui s’étiole
Dans le vaisseau du corps
Je sonde l’ingénieuse vie
Gardienne de nos arcanes
Sa réponse inaudible
Multiplie nos fictions.
Andrée Chedid - L'intime horizon
Loin des berges stridentes
Egarer l’ancre
Rompre les amarres
Suivre l’appel
De l’intime horizon.
Andrée Chedid - Epreuve du visage
Qui
Se tient
Derrière le pelage du monde ?
Quel visage au front nu
Se détourne des rôles
Ses yeux inversant les images
Sa bouche éconduisant les rumeurs ?
Quel visage
Veillant par-delà sa vue
Nous restitue
Visage ?
Quel visage
Surgi du fond des nôtres
Ancré dans l’argile
S’offre à l’horizon ?
Andrée Chedid - Chant de l'amour passé
Dans l'eau des rivières mortes
Chevalier sans armure
A quoi sert de te mirer
Je te regarde
Il n'est plus de mystère
Au jour désenchanté
Voir les jardins se referment
L'arbre renonce à ses prodiges
Le songe s'est dévoré
Andrée Chedid - Epreuve du visage
Qui
Se tient
Derrière le pelage du monde ?
Quel visage au front nu
Se détourne des rôles
Ses yeux inversant les images
Sa bouche éconduisant les rumeurs ?
Quel visage
Veillant par-delà sa vue
Nous restitue
Visage ?
Quel visage
Surgi du fond des nôtres
Ancré dans l’argile
S’offre à l’horizon ?
Toute vie
Amorça
Le mystère
Tout mystère
Se voilà
De ténèbres
Toute ténèbre
Se chargea
D’espérance
Toute espérance
Fut soumise
A la vie
Andrée Chedid - L'Eau perpétuelle
Quand je glisse en tes yeux,
Une allée me prolonge
Loin du mortel pays
Amour, il fallait bien que tu sois.
Au bord des rives où tout trépigne et s’efface ;
Il fallait bien que l’eau perpétuelle
Nous donne ce qui est plus que la vie.