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18 février 2012 6 18 /02 /février /2012 19:51

    SABINE SICAUD

Elle écrivait peu de temps avant sa mort au jeune homme aimé en rêve qu’elle appellera Vassili : De Sabine Sicaud –retrouvé dans : Feuilles de carnet

"N'oublie pas la chanson du soleil, Vassili.
Elle est dans les chemins craquelés de l'été,
dans la paille des meules,
dans le bois sec de ton armoire,
si tu sais bien l'entendre.
Elle est aussi dans le cri du criquet.
Vassili, Vassili, parce que tu as froid, ce soir,
ne nie pas le soleil. "

 

 

    (Sabine Sicaud, Poèmes d’enfant, Poitiers, Cahiers de France, 1926) Sabine Sicaud, âgée de 11 ans avait concouru pour le prix du "Jasmin d'Argent " avec le poème " Le petit Cèpe " dont on doutait qu'elle en fut l'auteur.Marcel Prévost, président de la section poésie du Jasmin d'Argent invita Sabine et sa mère et incita la fillette à improviser un poème sur sa chatte Fafou. C'est à la lecture de ce poème, composé de façon impromptue que l'écrivain académicien fut persuadé du génie de la fillette.Il fut alors certain de la sincérité de Sabine qui reçut la deuxième médaille d'argent pour " Le petit Cèpe"

Ah ! Laissez-moi crier

« Ah! Laissez-moi crier, crier, crier …
Crier à m’arracher la gorge!
Crier comme une bête qu’on égorge,
Comme le fer martyrisé dans une forge
Comme l’arbre mordu par les dents de la scie,
Comme un carreau sous le ciseau du vitrier…
Grincer, hurler, râler. Peu me soucie
Que les gens s’en effarent. J’ai besoin
De crier jusqu’au bout de ce qu’on peut crier.

Les gens? Vous ne savez donc pas comme ils sont loin
Comme ils existent peu, lorsque vous supplicie
Cette douleur qui vous fait seul au monde?
Avec elle on est seul, seul dans sa geôle
Répondre? Non. Je n’attends pas qu’on me réponde.
Je ne sais même pas si j’appelle au secours
Si même j’ai crié, crié comme une folle
Comme un damné toute la nuit et tout le jour
Cette chose inouïe, atroce, qui vous tue
Croyez-vous qu’elle soit
Une chose possible à quoi l’on s’habitue
Cette douleur, mon Dieu, cette douleur qui tue
Avec quel art cruel de supplice chinois
Elle montait, montait à petits pas sournois
Et nul ne la voyait monter, pas même toi
Confiante santé, ma santé méconnue
C’est vers toi que je crie, ah c’est vers toi, vers toi!
Pourquoi, si tu m’entends n’être pas revenue?
Pourquoi me laisser tant souffrir, dis-moi pourquoi
Ou si c’est ta revanche et parce qu’autrefois
Jamais, simple santé, je ne pensais à toi? »

Aux Médecins Qui Viennent Me Voir


« Je ne peux plus, je ne peux plus, vous voyez bien…
C’est tout ce que je puis.
Et vous me regardez et vous ne faites rien.
Vous dites que je peux, vous dites – aujourd’hui
Comme il y a des jours et des jours – que l’on doit
Lutter quand même et vous ne savez pas
Que j’ai donné toute ma pauvre force, moi,
Tout mon pauvre courage et que j’ai dans mes bras
Tous mes efforts cassés, tous mes efforts trompés
Qui pèsent tant, si vous saviez!

Pourquoi ne pas comprendre? Au bois des Oliviers
Jésus de Nazareth pleurait, enveloppé
D’une moins lourde nuit que celle où je descends.
Il fait noir. Tout est laid, misérable, écœurant, sinistre…
Vainement, vous tentez en passant
Un absurde sourire auquel nul ne se prend.
C’est d’un geste raté, d’une voix sonnant faux
Que vous me promettez un secours pour demain.
Demain! C’est à présent, tout de suite, qu’il faut
Une main secourable dans ma main.

Je suis à bout…
C’est tout ce que je peux souffrir, c’est tout.
Je ne peux plus, je ne crois plus, n’espère plus.
Vous n’avez pas voulu
Pas su comprendre, sans pitié
Vous me laissez souffrir ma souffrance… Au moins
Faites-moi donc mourir comme on est foudroyé
D’un seul coup de couteau, d’un coup de poing
Ou d’un de ces poisons de fakir, vert et or,
Qui vous endorment pour toujours, comme on s’endort
Quand on a tant souffert, tant souffert jour et nuit
Que rien ne compte plus que l’oubli, rien que lui… »

 

 

Carte postale

Quand l’anémone rouge et les jacinthes bleues
Fleurissent les parcs d’Angleterre,
Une petite fille en robe rouge ou bleue
Descend les escaliers de pierre.

De green, les parterres, le lierre,
Les beaux arbres jamais taillés
Et les sous-bois pleins de jacinthes…

En robe rouge ou bleue - anémone ou jacinthe -
Une petite fille est peinte
Dans le printemps vert et mouillé
De la vieille Angleterre.

 

 

Château de Biron

Sur les chemins nus, plus personne.
Couleur de sanguine pâlie
Un horizon de bois frissonne.
De quelle âpre mélancolie
Nous enveloppe ici l’automne?

Un gémissement de poulie
Survit seul en haut du puits rond.
La cour d’honneur et le perron
En vain parleraient d’Italie…
Trop de couloirs sombres relient
Aux salles où nos pas résonnent
Des retraits que nous ignorons.
Trop d’ombre se tasse aux chevrons
Le long de frises abolies.

Feu le duc aux « souliers tout ronds »
A rejoint défunt Bragelonne.
Dans les cuisines, plus personne.
Le soir meurt, plein de moucherons.
Vieux château des Gontaut-Biron
Avec quelle mélancolie
Vous regardez venir l’automne…

 

 

Chemins de l'Est

Quand j’étais Russe, il m’arrivait
de m’appeler Katia, Masha, Tania.
J’avais une niania,
une baba, tout ce qui chante en a
dans les noms russes.
Dans notre isba
Notre-Dame de Portchaïef luisait
comme une étoile et dehors les étoiles
luisaient comme la mosaïque
de notre église à Pâques.
Et sur la terre pâle
de sa pâleur de neige ou rouge
de ses coquelicots, courait comme le vent
mon beau petit cheval de Sibérie.

Traîneaux, bateaux, troupeaux, blanche et rouge Russie,
danses, musique de chez moi, quand j’étais Russe…
Pouvoir de tant souffrir, d’être si vieux, si jeune,
de faire un geste de la main sans pleur ni cri.
J’avais de longues tresses blondes
comme aujourd’hui.

Chemins du Nord

Lorsque « je pâlissais au nom de Vancouver »
et que j’étais du Nord,
trop de froid traversait ma pelisse d’hiver
et mon bonnet de bêtes mortes.
Mes frères chassaient les oursons
jusqu’au fond des grottes de fées;
du sang parlait sous leurs trophées,
les Tomtes se cachaient, le vent hurlait aux portes
et la glace barrait les fjords
lorsque j’étais du Nord.
Murs blancs du froid, prison.
Je ne voyais jamais passer Nils Holgerson.

Selma, Selma, pourquoi m’aviez-vous oubliée?
Il fallait naître à Morbacka, le jour de Pâques.
Je savais bien pourtant que j’étais conviée…

Chemins du Sud

Chemins du Sud avec un nom qui vous fait mal
certains jours
à force de creuser des nostalgies…
Inscrits en rouge ou bleu sur le cristal
de vos grandes agences de voyage,
inscrits sur les navires au mouillage,
sur l’avion postal
ou sur l’oiseau qui craint le froid des jours plus courts,
certains jours - certains jours
comme se fait insidieuse leur magie!

Chemins du Sud - l’odeur du pamplemousse
ou du désert sans oasis
ou de la forêt vierge aux dangereuses nuits.

Pistes de bêtes dans la brousse
ou dans ces mers pleines d’étoiles rousses
dont parlent entre eux les marins.

Soleil du Sud qui fait la peau d’huile et d’ébène,
soirs de villages indigènes,
tam-tam… Plus loin que vous, au Sud,
Boléro de Ravel qui pourtant faites mal
comme ces noms aux tristesses étranges,
bord astral
de ces routes sans ange
où sombre lentement la Croix du Sud…

Demain (Poème inachevé)


Interprété par Ann


Tout voir ---- je vous ai dit que je voulais tout voir,
Tout voir et tout connaître !
Ah ! ne pas seulement le rêver... le pouvoir !

Ne pas se contenter d'une seule fenêtre
Sur un même horizon,
Mais dans chaque pays avoir une maison
Et flâner à son gré de l'une à l'autre ---- ou mieux,
Avoir cette maison roulante,
Cette maison volante d'où les yeux
Peuvent aller plus loin, plus loin toujours ! Attente
D'on ne sait quoi... je veux savoir ce qu'on attend.

Tout savoir, tout savoir de l' univers profond,
Des êtres et des choses,
De la terre est des astres, jusqu'au fond.
Savoir la cause de cet amour qu'on a pour des noms de pays,
Des noms qui chantent à l'oreille avec instance
Comme s'ils appelaient depuis longtemps
Depuis toujours ----- des noms immenses
Dont on est envahi,
Ou des noms tout petits, presque ignorés.

Longs pays blancs du Nord, pays dorés
Du Sud ou du Levant plein de mystère...
Et les jeunes, aux villes claires :
New-York, San-Francisco, Miami, des lumières,
Du bruit, de la vitesse, de l'espace...

Ah ! tout voir, tout savoir des minutes qui passent,
De celles qui viendront...
Demain, comme je t'aime !

Je ne fais qu'entr'ouvrir les yeux, lever le front,
Commencer de comprendre.
Hier, savais-je même
Ce que c'était que respirer dans le jour tendre ?

Bonheur de voir, d'entendre,
Qui vient à nous dans un frisson ;
Tant de beauté, tant de couleur, de sons...
Royaume de la vie !

Les images m'entourent de leur ronde,
La musique est en moi comme une ivresse
Ne suis-je pas cette jeune princesse
Qui s'en allait, suivie de pages ? Rien au monde
Peut-il me cacher ton visage, cher Passant ?

Te voilà... D'où viens-tu ? Quelle est ton âme ?
Es-tu prince ou poète ? Je pressens
Tout ce que tu diras si tu viens de là-bas
Où, pour toi, quelque vieille femme, en son isba,
Implore Notre-Dame,
" Notre-Dame de Potchaïeff, guidez ses pas " !
Tu te nommes Boris ou Michel, n'est-ce pas ?

Non, ? C'est Tommy ? Pardon.
Tu viens du golf et je te sais vainqueur.
Serrons-nous les deux mains, en camarades.

Beppo ? Tu dis Beppo ? C'est donc
La voix de Romeo qui nous parle et son coeur
Que tu m'apportes ? Soit, je suis en promenade
Et nous pouvons causer. De qui ? De Juliette ?
Ou de vous, les Tristan, les Siegfried, les Vincent,
Les Cyrano, les Poliche peut-être...

Oui, ton âme, Poliche, la connaître,
Moi je te comprendrai. Va, si la vie est faite
De telles cruautés, c'est qu'on n'a pas compris.

Tu dis : " On peut comprendre et rester impuissant. "
Qui sait ? Qui sait, Poliche.
Je pense que surtout l'on peut s'être mépris
Et nous ne savons pas de quoi nous sommes riches.
Tous les bonheurs, sait-on jamais leur prix ?
...Sait-on si l'important n'est pas d'aimer quand même,
Fût-ce un rêve toujours fuyant, pourvu qu'on aime...

Diego


Son nom est de là-bas, comme sa race.
L’œil vif, le pas dansant, les cheveux noirs,
C’est un petit cheval des sierras, qui, le soir,
Longtemps, regarde vers le sud, humant l’espace.

Il livre toute sa crinière au vent qui passe
Et, près de son oreille, on cherche le pompon
D’un œillet rouge. Sur son front,
Ses poils frisent, pareils à de la laine.

Rien en lui de ces chevaux minces qui s’entraînent
Le long d’un champ jalonné de poteaux;
Ni rien du lourd cheval né dans les plaines,
Ces plaines grasses et luisantes de canaux
Où des chalands s’en vont avec un bruit de chaînes.

Il ignore le turf, et les charrois et les labours,
Celui dont le pied sûr comme celui des chèvres,
Suivit là-haut les sentiers bleus, dans les genièvres.

Sur ses naseaux, larges ouverts, un frisson court.
Avec d’autres poulains échevelés, il vint, un jour,
De la montagne aux herbes odorantes.
Poussé par des bergers en capes de brigands
Il vint, petit cheval hirsute à crinière flottante…

Il a gardé ses yeux surpris, des yeux d’enfant
Qui fixent loin, comme à travers les choses…
Et parfois on y voit luire un éclair, sans cause.
On dit alors : « Vient-il de Corse? » Mais il a
D’autres regards aussi, pleins de tendresse.
La jument du vieux cheik a de ces regards-là
Pour le maître en burnous qu’elle aime. « Une caresse
Fait l’antilope et le cheval de la maison. »

Pas un tournant d’allée, un morceau de gazon,
Une porte d’ici qu’il ne connaisse…

Et les portes peuvent s’ouvrir imprudemment
Le petit cheval noir y secoue, un moment,
Sa tête qui dit : « Non, pourquoi fuirais-je ? »
Il hennit comme on rit, à mi-voix, en arpège;
Et sa queue, ainsi qu’un éventail,
S’agite avec le bruit de feuillages qu’on traîne.

Il connaît chaque route au-delà du portail,
Et peut-être sait-il où chaque route mène.

Se prêtant au harnais, par jeu, derrière lui
Il a tiré parfois cette chose qui bouge –
Une voiture – et fait tinter le collier rouge
Dont les grelots ont le son de clarines la nuit.

Parfois, comme pris de folie,
On le voit bondissant pour rien, pour un peu d’eau,
Un jet de l’arroseur ou trois gouttes de pluie
Un papier tournoyant, et ses petits sabots
Allument le pavé. Parfois, dans le pré, libre,
Il se met à ruer d’un air farouche, exprès!
Il galope en zigzags, ou, pliant les jarrets,
Se tient debout, nous défiant, en équilibre…

Quand on le mène boire, il saisit, par un coin,
Nos tabliers, nos manches, ce qu’il peut, et nous dirige,
Lui, le petit cheval sans bride. Un brin de foin
Pend de sa lèvre brune – ou quelque tige
Arrachée au vieux mur – et son œil songe, au loin…

Voici longtemps, longtemps, bien des années,
Qu’il est de la maison, le petit cheval noir
Dont le poil, fil à fil, en bouclettes fanées,
S’argente sur le front. Il se plaît à nous voir,
À nous porter, à nous conduire. Il nous appelle
Et nous taquine et reste jeune et reste gai…
Pourtant, quand le vent vient du sud, battant des ailes
Comme un aigle de la Sierra, quand le printemps
A ce parfum de romarin qui nous étonne,
Et tous les soirs, et tous les soirs d’été, d’automne,
Qu’attend-il, mon petit cheval aux yeux d’enfant,
De quoi se souvient-il qui nous étonne,
Quand le vent vient du sud?

 

 

Fafou

Chimère, dromadaire, Kangourou?
Non. Rien que cette ombre chinoise,
Fafou, sur la fenêtre, à contre-jour, Fafou,
Toute seule et pensive… Un fuchsia pavoise
L’écran vert derrière elle, et j’entends, à deux pas,
Des oiseaux qui l’ont vue et s’égosillent.

Fafou se pose en gargouille. Un œil las
Semble à peine s’ouvrir dans son profil où brille,
Cependant, quelque chose, on ne sait quoi d’aigu…
Par là, se cache un nid d’oisillons nus
Pour qui la mère tremble – Fafou songe.

Un tout petit pétale rouge, qui s’allonge,
Marque d’un trait sa gueule fine… Un bâillement.
Puis un autre… Fafou dormait innocemment.
Fafou dormait, vous dis-je! Elle s’étire,
La queue en yatagan,
Puis en cierge; le dos bombé, puis creux. Le pire,
C’est qu’elle n’a pas l’air de voir, s’égosillant,
La mère-oiseau dans l’if si proche…

Une patte en fusil, assise, la voilà
Qui se brosse, candide, et sa robe a l’éclat
D’un beau satin de vieille dame où se raccroche
La lumière du soir.
Une dame? Ou quelque vieux diable en habit noir?

Fafou, je n’aime pas ces yeux d’un autre monde,
Ces yeux de revenant… Tout à l’heure croissants,
Maintenant lunes rondes,
Pourquoi ces trous phosphorescents
Dans cette face obscure? Sur la toile
Qui se fonce, elle aussi – la toile du jardin
Où les pendants des fuchsias sont des étoiles
La robe d’un noir vif s’éteint…

Elle n’est plus qu’un badigeon d’encre ou de suie,
Un pelage sinistre! Où l’as-tu pris
Ce noir d’enseigne de chat noir lavé de pluie?

Chat noir ou lion noir? Chauve-souris,
Chouette, quoi? Je ne sais plus. Sur la fenêtre,
Une tête où l’oreille plate disparaît…
Lézard, couleuvre ou tortue? Ah! Si près,
L’oiseau même ne sait qui redouter, quel être
Fantastique et changeant va ramper cette nuit
Dans le jardin au noir mystère de caverne!

Du noir, du noir… Un point luit,
Deux points… deux vers luisants, vertes lanternes…
Fafou, je ne veux pas!
D’où reviens-tu, démon, de quel sabbat,
De quelle grotte de sorcière,
Lorsque tes yeux me font cette peur, tout à coup?

C’est l’heure des gouttières,
De la jungle! Foulant, d’un piétinement doux,
Une vendange imaginaire, sur la pierre,
Quelle arme aiguises-tu? Je ne veux pas, Fafou!
Viens sous la lampe! Un ruban rose au cou,
Un beau ruban rose de jeune fille, rose pâle,
Je te veux, comme en haut d’une carte postale,

Une petite chatte noire, voilà tout…

L'Heure Du Platane


Sentez-vous cette odeur, cette odeur fauve et rousse
de beau cuir neuf, chauffé par l’automne qui flambe?

Tous les cuirs du Levant sont là, venus ensemble
de souks lointains saturés d’ambre et de santal.
Des huiles et des gommes d’or les éclaboussent.

En de jaunes parfums d’essences et de gousses,
tous les cuirs précieux d’un faste oriental,
cuirs gaufrés et gravés, pointillés de métal,
peints et damasquinés, sont là. Ceux de Cordoue
s’allongent en panneaux où la lumière joue
comme dans l’escalier d’un palacio ducal;
ceux de Russie ont des reflets de pourpre ardente;
ceux de Venise la douceur d’épais velours,
et ceux des Flandres aux blonds rares, aux bruns sourds,
semblent chez le bourgmestre attendre une kermesse.

Quelles mains ont offert à ces livres de messe
la reliure somptueuse qui m’enchante?
Et ce manteau pareil à la robe de Dante,
qui le tailla pour des poètes ignorés?

Beaux livres d’autrefois, je vous aime, dorés
sur un fond de soleil ainsi que des Icones,
et ma bibliothèque est un gala d’automne
ce soir, entre les bras d’un arbre mitré d’or.
La légende se brode à même le décor.
Mes livres, des très vieux aux très jeunes, s’étagent
de branche en branche, à la façon d’oiseaux pensifs,
et par-dessus la mosaïque des massifs
prennent la gamme fauve et rousse du feuillage.

Car ils sont habillés de feuilles, en ce temps
où les platanes roux et fauves se dépouillent.
La vierge, dans l’allée, a filé sa quenouille
afin que chaque page ait un signet flottant.

Vous qui lisez, le front penché, dans une chambre,
ne sentez-vous donc pas qu’au seuil froid de novembre
tout ce maroquin neuf et ces parchemins d’or
sont faits pour que, ce soir,on traduise, dehors,
uniquement, les strophes du platane? Automne,
guilloché de soleil, broché d’insectes jaunes,
plein de miel et de grains, et de cette odeur forte
que promène le vent du sud, de porte en porte;

Automne, qui donc pourrait croire aux feuilles mortes,
croire, ce soir, à la tristesse de la mort?

 

 

La bruyère

Ô bruyère, bruyère,
Je croyais te connaître et je ne savais rien
De cette odeur mêlée à la rumeur légère
Qui vient du fond des pignadas, qui vient
Des longs pays qui sont les tiens, bruyère…

Je connaissais ta petite âme de chez nous,
Ta petite âme éparse au pied de chênes roux
Et de sorbiers déjà couleur d’automne…

Mais ce rose éclatant, ces violets pourprés,
Ces épis de corail aux grains serrés,
Cette lumière en fins grelots qui sonnent,
Les trouve-t-on chez nous, même l’automne?

Ici, les pins tendent si haut leurs parasols
Que les vents de la dune se prélassent
Et que le soleil joue à pile ou face,
Librement, sur tes chauds tapis couvrant le sol…

Et c’est comme une flamme au ras des sables,
Un couchant rouge et mauve interminable
Sous les hauts parasols,
Quand tu fleuris, bruyère…

Tes fleurs…tes fleurs sont le tapis
D’un temple ouvert, bourdonnant de prières…
Entre les piliers bruns, des parfums assoupis
D’encens et de résine,
Des parfums d’immortelle et de mousse marine
Accompagnent le tien, bercé dans l’air…

Et ton âme d’ici, je la découvre
De ce wagon-joujou courant près de la mer,
Au seuil de ces pays roses et verts
Qui s’ouvrent
Sur le vert et le rose argentés de la mer…

 

La Châtaigne

Peut-être un hérisson qui vient de naître?
Dans la mer, ce serait un oursin, pas bien gros…
Ici, la boule d’un chardon – peut-être
Ou le pompon sournois d’une bardane
Ou d’un cactus? Mais non, dans le bois qui se fane,
Dans le bois sans piquants, moussu, discret et clos,
Cette chose a roulé subitement, d’en-haut,
Comme un défi… parmi les feuilles qui se fanent.

Allez, j’ai bien compris. C’est la saison.
Les geais, à coups de bec, ont travaillé dans l’arbre.
Même les parcs où veillent, tout pensifs, les dieux de marbre,
Ont de ces chutes-là sur leurs gazons.

Marron d’Inde là-bas, châtaigne ici. Châtaigne
Rude et sauvage, verte encore, détachée
Par force de la branche où les grands vents, déjà, l’atteignent
Le vent et les geais ricaneurs, et la nichée
Des écoliers armés de pierres et de gaules.

Comme il faut se défendre! Sur l’épaule
De la douce prairie en pente, l’on pouvait
Glisser un jour, à son heure, qui sait?
Et se blottir dans un coin tiède, pour l’hiver…
Ah! Pourquoi tant d’épines, tant d’aiguilles,
Tant de poignards dressés, pauvre peloton vert?
Une fente… Voici qu’un peu de satin brille
Et le cœur neuf est là, dessous, et rien ne sert
D’être châtaigne obscure, âpre au goût, si menue!
Fendue, on est une châtaigne presque nue…

Et le coup de sabot sur la tête viendra,
Et le couteau pointu, l’eau bouillante, le pot
Qui sue avec de petits rires, des sanglots
Dans les tisons trop rouges; tout sera
Comme il est dit en l’ordinaire histoire des châtaignes.

Et vous ne voudriez pas, quand me renseigne
Dans la ville brumeuse, un cri rauque :
« marrons tout chauds! »
Quand j’aperçois, joufflus, blêmes, sans peau,
Ou craquelés et durs avec des taches de panthère,
Les frères de ma sauvageonne, tous ses frères
Vous ne le voudriez pas, que j’évoque, là-bas,
Un vieil arbre perdant ses feuilles rousses,
Et me souvienne du choc sourd, lourd, lourd comme un glas,
De pauvres fruits tués qui tombent sur la mousse?


La vache s’étire, gourmande,
Vers le champ de trèfle voisin.
Tous les verts bordent le chemin
Du vert acide au vert amande.

Mais c’est un velours trop soigné
Qui s’aligne entre les clôtures…
Dans les ronces, à l’aventure,
La chèvre aime s’égratigner.

Elle aime le vert des broussailles
Où l’ombre devient fauve un peu,
Et ce vert d’arbres presque bleus
Que tous les vents d’orage assaillent.

C’est bien au-delà des sillons
Et des vergers gorgés de sèves,
Que les clochettes de son rêve
Éparpillent leurs carillons…

Parfois, un glas les accompagne…
Mais il fait beau, c’est le matin!
Chevrette de Monsieur Seguin
Ne regardez pas la montagne…

 

Le Camélia rouge


Au milieu des plantes fragiles
qu’une vitre épaisse défend,
plusieurs boutons pointent, fragiles,
un premier cocon vert se fend.

Déjà, le long des pots d’argile,
on devine du bleu, du blanc.
Un cyclamen joue au volant,
- soignez les petits pots d’argile –
mais plus haut, bien plus haut déjà,
vers les branches qui se ravivent
une fée a passé. Déjà
en bouffette de pourpre vive
Le premier cocon se changea.

Cocarde rouge – est-ce un insigne?
Velours sombre jaspé de clair,
dans le sang, deux plumes de cygne…
De quelle infante est-ce l’insigne?

Rose orgueilleuse de l’hiver,
on la sent faite pour des gerbes
qu’on vendra tôt, qu’on vendra cher,
bien avant la saison des gerbes!

Fleurs des sillons, des bois, de l’herbe,
vous n’entendez rien à cela.
C’est pour des doigts trop blancs, trop las,
que l’on cueille ces branches-là.

Branche verte aux feuilles vernies
vous offrant en cérémonie
cette corolle sans parfum…
Vers les boudoirs, vers les palaces,
les rameaux s’en vont un à un.
Dans le cadre des hautes glaces,
saluez la fleur des palaces.

Vous parlez de cette main lasse
de la Dame aux camélias.
Je ne sais pas ce qu’il y a
dans le cœur des camélias;
je n’y cherche ni l’humble grâce
ni l’arôme de tant de fleurs -

De s’ouvrir à la Chandeleur
dans une atmosphère factice,
d’être rare; d’être une fleur
avant que d’autres ne fleurissent,
de tout ce qu’il y a de factice
lui sais-je gré? Je ne sais pas.
Je l’aime à l’abri des frimas
pour tout ce qu’il est ou n’est pas.

Immobile papillon rouge
entre deux feuilles qui ne bougent
il est sous les vitres, là-bas,
le premier camélia rouge.

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Le chemin des Chevaux

N’as-tu pas un cheval blanc
Là-bas dans ton île?
Une herbe sauvage
Croît-elle pour lui?

Ah! comme ses crins flottants
Flottent dans les bras du vent
Quand il se réveille!
Il dort comme un oiseau blanc
Quelque part dans l’île.

J’ai beau marcher dans la rue
Comme tout le monde,
C’est l’herbe, l’herbe inconnue,
Et le cheval chevelu
Couleur de la lune,
Qui sont de chez moi, là-bas,
Dans une île ronde.

Caparaçonnés, au pas, au galop,
Je ne connais pas tes quatre chevaux.

Tu vas à Paris,
La chanson le dit,
Sur ton cheval gris.

Tu vas à La Haye
Sur la jument baie.

Tu vas au manoir
Sur le cheval noir.

Et je ne sais où
Sur le poulain roux.

Mais mon cheval blanc
Nuit et jour m’attend
Au seuil de mon île.

Le Cytise

Non, pas une glycine. Au lieu de grappes mauves,
Ce sont des grappes d’or…
On dirait des pendants d’oreilles de jadis, en bel or fauve…
Ou des pastilles d’ambre, ou les confetti d’or
Qui joncheraient, pour un grand mariage,
Le tout petit sentier… C’est le décor
Où des torches s’allument. Vois flamber le paysage!

Survient le vent.
Et c’est une cascade lumineuse de topazes,
Un long feu d’artifice, un jet d’eau qui s’embrase,
Un quatorze Juillet de mai! Vois, dans le vent,
La joie ardente du printemps!

Pas de canons, d’ailleurs, ni de Bastilles prises.
C’est la fête rustique du Cytise.

En cheveux de soleil,
-Papillotes. Jeune perruque ébouriffée-
Le Cytise s’éveille. Il est pareil
À quelque page blond sortant d’un magique sommeil.

Il fut un arbre mort et le voici pareil
Au Printemps même, secouant sa tête ébouriffée…
Lancés par la main d’un Génie, ou par les fées,
C’est l’éparpillement de petits sabots jaunes, si légers,
Si menus et vernis, qu’ils émerveillent
Le vieux cyprès bourru, chaussé de brun. Et les abeilles
Vont et viennent, avec ce bruit que l’on entend dans les vergers.
Et moi, comme toi, vieux cyprès, je m’émerveille
Longtemps, devant cela, que nul ne semble voir,
-Sauf nous deux - le jeune cytise en fleurs, au bord du soir.

 

Le petit Cèpe

Va, je te reconnais, jeune cèpe des bois...
Au bord du chemin creux, c'est bien toi que je vois
Ouvrant timidement ton parapluie.
A-t-il plu cette nuit sur la ronce et la thuie?
Déjà, le soleil tendre essuie
Les plus hautes feuilles du bois...

Tu voulais garantir les coccinelles?
Il fait beau. Tu seras, jeune cèpe, une ombrelle,
L'ombrelle en satin brun d'un roi de Lilliput!
Ne te montre pas trop, surtout... Le chemin bouge...chut!
Fais vite signe aux coccinelles!

Des gens sont là, dont les grands pieds viennent vers toi.
On te cherche, mon petit cèpe...
Que l'ajonc bourdonnant de guêpes,
Le genièvre et le houx cachent les larges toits

De tes aînés, les frères cèpes,
Car l'un mène vers l'autre et la poêle est au bout!

Voici qu'imprudemment tout un village pousse:
Rouge et couleur de sang, vert et couleur de mousse,
Girolle en bonnet roux,
Chapeaux rouges, verts, blonds, partout,
Les toits d'un rond village poussent!

Depuis l'oronge en oeuf, le frais pâturon blanc
Doublé de crépon rose,
Jusqu'au méchant bolet qu'on appelle Satan,
Je les reconnais tous, les joyeux, les moroses,
Les perfides, les bons, les gris, les noirs, les roses,
Tes cousins de l'humide automne et du printemps...
Mais c'est pour toi, cher petit cèpe, que je tremble!
Tu n'es encore qu'un gros clou bien enfoncé;
Ta tête a le luisant du marron d'Inde et lui ressemble.
Surtout, ne hausse pas au revers du fossé
Ta calotte de moine! on te verrait... je tremble.

Moi, tu le sais, je fermerai les yeux.
Exprès, je t’oublierai sous une feuille sèche.
Je t’oublierai, petit Poucet. Je ne puis, ni ne veux
Être pour toi l’Ogre qui rêve de chair fraîche…
Je passerai, fermant les yeux!

Dans mon panier, j’emporterai quelques fleurs, une fraise…
Rien, peut-être…Mais toi, sur le talus,
À l’heure où les chemins se taisent,
Levant ton capuchon, tu ne nous craindras plus!

Brun et doré, sur le talus,
Tu t’épanouiras en coupole si ronde,
Si large, que la lune en marche - une seconde -
S’arrêtera pour te frôler de son doigt blanc. La nuit
Se fera douce autour de toi, bleue et profonde.
Mignonne hutte de sauvage - table ronde
Pour les rainettes dont l’œil jaune et songeur luit,
Mon cèpe! tu ne seras plus un clou dans l’herbe verte,
Mais un pin-parasol dans l’ombre où se concertent
Les fourmis qui, toujours, s’en vont en longs circuits;
Tu seras une belle tente, grande ouverte,
Où les grillons viendront chanter, la nuit…


(Sabine Sicaud, Poèmes d'enfant, Poitiers, Cahiers de France, 1926) Grâce à ce poème, Sabine Sicaud gagna la deuxième médaille d'argent du Concours du Jasmin d’Argent de 1924, elle n’avait que onze ans! Fondé à Agen en 1920 par Jacques Amblard, le Jasmin d’Argent est un concours littéraire annuel où le lauréat reçoit un jasmin en argent,bijou rappelant la Gascogne, d’où le nom de ce concours.

Le Tamaris

Tout l’hiver, le laurier t’a bravé. Tout l’hiver,
Les deux ifs, s’éventant de leurs franges épaisses,
Tout dit : « N’aimes-tu pas cette fraîcheur de l’air? »

Et le cèdre était vert, le cyprès était vert,
Et les bambous avaient des gestes d’allégresse,
Et le palmier jouait à l’oasis…

Et le lierre en habit vert bouteille, et la mousse
En laine vert grenouille, et l’herbe vert maïs,
Te narguaient, en couvrant le sol brun d’une housse,
Où le givre cousait des boutons de cristal…

Et le magnolia de faïence vernie,
Le fusain compassé, le yucca de métal,
Regardaient avec ironie
Tes rameaux grelottants…Le buis même, le buis
Des bons vieux jardinets de presbytère,
Semblait fat et repu sur un morceau de terre
Large comme la main et l’ « artichaut des puits »
Encadrait le bassin de roses agressives…

Et tous disaient : « Voyez, grâce à nos feuilles vives,
Ce n’est jamais l’hiver, jamais l’hiver! »

Et devant toi, si découvert,
Si nu, si maigre, avec de petits doigts si frêles,
Je m’arrêtais, ne sachant plus…

Mon arbrisseau léger, dont le front chevelu
Frisé par la brise de mer aux tièdes ailes,
Prenait là-bas, dans le soleil, un vert si doux,
Un vert qui se teintait de rose à tous les bouts
Dès que le temps des fleurs ouvrait sa boîte à poudre
Et son étui de rouge parfumé
Faudrait-il se résoudre
À ne plus voir ton fin visage ranimé?

Ah! Qu’ils m’importent peu, les autres, les tenaces,
Les toujours verts, si tu dois rester nu!
Comprendront-ils jamais ce qu’il y a de grâce,
De charme délicat dans tes bourgeons menus
Lorsque tu ressuscites,
Mon tamaris, pour qui l’hiver est bien l’hiver…

D’avoir tremblé pour toi, comme on se penche vite
Sur ce premier duvet imperceptible hier,
Et comme on t’aime pour ce vert, ce tendre vert
Si miraculeusement neuf, d’après l’hiver…

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Les Fontanelles

Ce n’est qu’une maison
blanche entre les arbres…

Petites fontaines… Sans doute
Il fut là parmi les reflets
De sources et de ruisselets
Tous ces bruits charmants qu’on se plaît
À rêver le long d’une route.

Grelots clairs, tendres ou follets,
De sources et de ruisselets,
Mousses fines que juin veloute,
Oasis au bord d’une route.

Un coin vert, des arbres en voûte
Et notre âme s’apaise toute.

Vous qui passez vite arrêtant
Vos yeux pleins de fièvre un instant
Sur cette fraîcheur qui repose,
Puissiez-vous entendre longtemps
Ce petit grelot d’un instant
Au lointain de votre âme close…

Deux gouttes d’eau, si peu de chose
Mais cette fraîcheur qui repose.

Les Charmettes, Milly, Nohant,
Noms qui chantent, noms émouvants
Comme un vieux jardin plein de roses;
Le ruisseau du Cayla jasant;
Arnaga, la vasque où se pose
Le soir basque en robe d’argent…

Un vieux banc, l’allée, une rose,
Tout ce qui survit dans les choses!

Vous qui prononcez à mi-voix,
Tendrement, des noms d’autrefois,
Dites, n’est-il un peu leur frère
Ce diminutif où l’on voit
Courir dans les syllabes claires
Les sourcelettes de nos bois?

Fontanelles… petites voix
Qui dans l’ancien temps nous bercèrent.
Sous la menthe et les capillaires
N’est-ce pas le miroir étroit
Où se penchent les « fatsillères »?
Ici vint Françoun la bergère
Ô chansons, chansons de naguère!

Est-ce un parc, est-ce un petit bois?
De la grande route on ne voit
Qu’un bouquet d’arbres si tranquilles!

Un brouillard léger sur la ville
Estompe le rouge des toits –
Et d’être blanche, d’être là
Sous le ciel qu’eût aimé Virgile,
Toute simple, avec cet éclat
Seulement des fleurs que voilà
Parmi de beaux arbres tranquilles,
Cette maison nous est déjà
Quelque chose comme un asile.

Asile que l’on rêve au bout
D’un chemin battu par l’orage,
Halte claire du paysage.

Vert non pas anglais, vert plus doux
Qu’ont les pelouses de chez nous.
Couchants lilas, baignés de roux,
Volets s’ouvrant dans le feuillage.

Vous qui partez, souvenez-vous.
Ce n’est qu’une maison française.
Des livres, les toiles qui plaisent,
Un intérieur aux tons doux,
Du gris, du rose Louis seize,
Une vieille maison française.

De loin, de près, je ne sais d’où,
Puissiez-vous revoir aux jours tristes
Un petit coin vert de chez nous.

Que sa grâce, un peu vous assiste,
Vous qui partez dans le soir triste.

L’allée des bambous


Je sais un tunnel, un tunnel au porche vert,
Où nul train ne passe…
L’été, le soleil y sème, de place en place,
De petites mosaïques; l’hiver,
La neige le fleurit de blanc; mais il est vert,
Tout vert dessous, et les moineaux s’y tassent,
Chaque soir, en pelotes grises, par milliers.

Est-ce un vrai tunnel? Au bout, je vois la terrasse,
La maison pâle, un massif dépouillé.
C’est l’automne. Le vent pousse des feuilles mortes;
Il les pousse longtemps…
Qu’importe!
Le tunnel s’en moque. J’entends
Remuer ses feuilles vivantes.

Elles disent au vent : « Tu vois;
Nos petites lames tranchantes?
Ce sont des couteaux verts, des sabres que tes doigts
Ne détacheront pas de leur tige. Tu vois,
Nous sommes là depuis les vieilles guerres
Et nous serons
De la prochaine guerre… Vois nos lames claires! »

Et le vent dit : « Les houx eux-mêmes sécheront,
Et l’aloès féroce aux fleurs de braise,
Et l’yucca de métal sombre, et le cactus…
Et vous n’êtes que des roseaux, pas plus. »
Et moi je dis à mon tunnel, pour qu’il se taise :
« Ô beau tunnel, soyez béni d’être en roseaux!
Vous êtes la chapelle verte des oiseaux;
L’allée où, comme une princesse japonaise,
Je me promène sous des palmes, en rêvant.

Pour moi, vos feuilles sont de gais poissons vivants,
Des éventails de soie au long manche de jade,
L’aigrette que portait au front Shéhérazade;
Les oriflammes d’un cortège, les rubans
De la houlette qu’un berger en satin blanc
Oublia hier sous vos arcades.

Vos tiges sont de fines colonnades
Et non l’étui d’un glaive ou de poignards sournois…
Ô couloir de bambous, mystérieux pour moi
Comme une douce nuit profonde et verte,
N’enviez par l’arme qui tue ou blesse, l’arme ouverte
Ou cachée, à l’affût, qui se mouille de sang!... »

Et le beau tunnel vert, dans le soir qui descend,
Me berce d’un bruit d’ailes,
Et c’est comme un grand bois qui s’endort – ou la mer,
Quand la mer nous appelle
De toutes ses petites vagues au front vert,
Des vagues qu’on dirait chuchotantes dans l’air
Et dont chacune aurait des ailes…

 

Maladie ( Fragment )


Filliou…Je veux Filliou. Ne t’en va pas, Filliou.
Ferme la porte.
Sortir? Pour aller où?
Dis? Je ne veux pas que tu sortes!

J’ai tout le temps besoin de toi. Pour tout,
Pour t’avoir là. Reste, Filliou…

Si tu t’en vas, je sonnerai si fort, si fort,
Que les murailles tomberont toutes ensemble.

Ma cloche vient de Chamonix. Elle ressemble
À celle qui chantait, l’été dernier, au bord
De ce vallon près de Ciboure. Tout le port
Y scintillait, tu te souviens? Tout le décor
S’assombrissait vers les montagnes et la cloche
Montait dans le chemin tout proche.
Au cou d’une petite vache rousse
Elle a chanté peut-être aussi
Ma clarine à moi, celle-ci…

Filliou, Filliou, c’est à grandes secousses
Qu’elle se fâche, tu sais bien,
Si tu descends! Reviens…

Lis quelque chose, dis,
Quelque chose de gai…dis, tu n’as rien
De très comique, d’inédit?
Alors, assieds-toi là…Raconte-moi, Filliou,
Raconte…
On ne l’avait jamais fini, ce conte
Qui nous passionnait! Di-le-moi jusqu’au bout…
C’est « Cœur de Nénuphar et Tige de Bambou »,
Tu te souviens? Le soir, tu l’inventais pour nous
Et c’était merveilleux, si merveilleux, Filliou!
Raconte…



"Filliou" était le surnom que Sabine et son frère avaient donné à leur mère. Recueil "Douleur je vous déteste " Poèmes de Sabine Sicaud ( Stock )

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Matin d'Automne


Interprété par Ann


C’est un matin…non pas un matin de Corot
Avec des arbres et des nymphes sur la terre,
C’est un coin tout petit, entre des murs de pierres
Pas bien hauts…
C’est un matin dans le petit jardin du presbytère.

C’est un matin d’automne :
Vigne rouge, dahlias jaunes
Petits doigts tortillés de chrysanthèmes roux ;
Un tournesol montrant sa face de roi nègre
Sous un vieux diadème de plumes raides, un peu maigres…
Arrosoir vert, près du géranium en pot.
C’est un matin sans nymphes de Corot.

Le curé dort, la maison dort, le chemin dort
Pendant que, doucement, tombent des pièces d’or…

C’est un matin d’automne…
L’aube, qui s’est levée à pas de loup, d’abord frissonne
En peignoir rose…puis se met à rire dans le ciel
Et tout devient rose comme elle, et rit comme elle,
Et ce sont des clartés roses et blondes telles
Que le petit jardin doré semble irréel.
Réveillée en sursaut, dans le clocher, la cloche sonne :
Vite ! Vite ! Levez-vous, bonnes gens
C’est le matin ! C’est le matin d’automne !
Je sonne ! Il fait beau temps !
Entends, vieille servante au bonnet blanc, du presbytère.
C’est l’heure, lève-toi…Lève-toi, vieux curé
Vois les oiseaux, vois la lumière !
Prends ta soutane et ton bonnet carré
Ouvre ta porte et va…l’heure te presse !

L’allée a tous les tons fauves des vieux missels…
Va vite, ne t’attarde pas, sous le grand ciel
Au tout petit jardin plein d’allégresse…
Couleur de feu, couleur de fleurs, couleur de miel.
Il est trop beau ! Tu le prendrais pour un autel.
Tu manquerais la messe…

Médecins

Ne cherchez donc pas dans vos livres!
Est-il si compliqué de vivre?
Quel mal ils m’auront fait, ces tristes médecins…
Je ne dis pas que ce soit à dessein
Et l’on n’est pas toujours exprès des assassins;
Mais tant de drogues, de piqûres,
Et si peu de savoir? Ils me tueront, c’est clair.

Me laisser tant souffrir, souffrir tout un hiver,
Pour jouer ensuite aux Augures!

Je les vois en bouchers me palper tour à tour,
Puis s’enfermer d’un air sinistre
Conseil de guerre? de ministres?
Concile? Ou, verrous clos, sous l’abat-jour,
La conspiration de mélo, dans la cave?
Je rirais bien, si ce n’était beaucoup plus grave.
Mais il s’agit de moi qui ne sais rien
Et de ces gens à qui, dirait-on, j’appartiens,
Parce qu’ils font semblant de savoir quelque chose.

Bouchut en sait mille fois plus, hélas!
Mon vieux Bouchut qui prend son herbe et se la dose
Et toujours se guérit des misères qu’il a
Sans en chercher la cause…

Vieux Bouchut, vieux Bouchut, dans ton bain de soleil,
Tu te moques de leurs remèdes!
Ton ventre est chaud, ton petit nez vermeil.
Tu me suffis, Bouchut. Viens à mon aide…

 

 

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Quand j'habitais Florence

Quand j’habitais Florence avec tous mes parents,
Ma mère, ma grand-mère et l’arrière-grand-mère
Aux longs cheveux d’argent,
J’aimais tant les iris de nos jardins toscans
Et le parfum de leur terre légère...

Ah! le printemps, depuis, n’est plus un vrai printemps!

Il n’a plus la couleur des vitraux, vos couleurs,
Sainte-Marie-des-Fleurs,
Et celles de l’Arno
Sous les ponts recourbés où passait Béatrice.

Le soleil qui baignait les salles des Offices
N’a plus cet or subtil des matins déjà chauds
Le long des murs anciens et des champs de repos.
Les rossignols, depuis, ont tous une voix triste
Et l’aube qui persiste
À l’ombre des cyprès, je ne la connais plus.

Nos jardins d’autrefois, nous les avons perdus.

Thermidor

Des lézards et des chats suis-je la sœur?
D’où me vient cet amour des pierres chaudes
Et de ce plein soleil où rôdent
Comme des taches de rousseur?

Insectes roux, lumière vive
Qui force les yeux à cligner;
Ample été dont on est baigné
Sans qu’un frisson d’air vous arrive!

La pierre brûle sous les doigts. Le sable en feu
Parle d’Afrique à l’herbe sèche.
Une odeur d’encens et de pêche
Parle d’Asie au cèdre bleu.

L’insecte : abeille, moucheron, cétoine,
Puceron fauve, agrion d’or,
Sur chaque brindille s’endort.
Il fait rouge sous les pivoines.

Il fait jaune dans les yeux clairs
Du lézard, mon frère, qui bâille.
Prends garde aux yeux clairs des murailles,
Insecte roux, brun, rouge ou vert!

Et toi, lézard, prends garde aussi… prends garde
Au chat noir qui dort, à l’envers,
Paupière close et poings ouverts,
Une oreille molle en cocarde…

Savons-nous de quoi sont tigrés,
Jaspés, striés, vos regards d’ambre,
Frères dont s’étirent les membres
Sur ma pierre au lichen doré?

Je voudrais que ce soit du soleil en paillettes
Qui flambe seulement dans les petits lacs blonds
De vos yeux somnolents où midi se reflète!

Dans mes yeux qui sont bleus, même un peu gris au fond,
Mes yeux à moi, je sais bien ce que mettent
Les rayons d’un été me traversant le front.

Même les cils rejoints, même faisant de l’ombre
Avec mes doigts serrés devenus transparents,
C’est comme un incendie aux trous d’un rideau sombre!

Tout l’or des joailliers, des princes d’Orient,
Peuple mes yeux fermés d’étoiles qui s’obstinent…

Lézards, mes compagnons, chats dormants qu’hallucine
La ronde du soleil contre le mur ardent,
Me direz-vous jamais ce que voit en dedans
- Ce que voit dans la nuit qui descend en sourdine –
Votre œil clair de chasseurs que juillet hallucine?...

 

Un Médecin ?


Un médecin ? Mais alors qu’il soit beau !
Très beau. D’une beauté non pas majestueuse,
Mais jeune, saine, alerte, heureuse !
Qu’il parle de plein air, non pas trop haut,
Mais assez pour que du soleil entre avec lui.

Qu’il sache rire — tant d’ennui
Bâille aux quatre coins de la chambre —
Et qu’il sache te faire rire, toi, souffrant
De ta souffrance et du mal de Décembre.

Décembre gris, Décembre gris, Noël errant
Sous un ciel de plomb et de cendre.
Un médecin doit bien savoir
D’où ce gris mortel peut descendre ?

Qu’il soit gai pour vaincre le soir
Et les fantômes de la fièvre —
Qu’il dise les mots qu’on attend
Ou qu’on les devine à ses lèvres.

Qu’il soit gai, qu’il soit bien portant,
(Ne faut-il croire à l’équilibre
Qui doit redevenir le nôtre, aux membres libres,
À l’esprit jouant sans efforts ?)
Qu’il soit bien portant, qu’il soit fort — sans insolence,
Avec douceur, contre le sort...
Il nous faut tant de confiance !

Qu’il aime ce que j’aime — J’ai besoin
Qu’il ait cet art de tout comprendre
Et de s’intéresser, non pas de loin,
Mais en ami tout proche, à ce qui m’intéresse.

Qu’il soit bon — nous voulons une indulgence tendre
Pour accepter notre révolte ou nos faiblesses.

De la science ? Il en aura, n’en doutez point,
S’il est ce que je dis, ce que j’exige.

Mais exiger cela, c’est, vous le voyez bien,
Leur demander, quand ils n’y peuvent rien,
Quelque chose comme un prodige !

Lequel, parmi vos diplômés,
Ressemble au médecin qu’espère le malade ?
Lequel, dans tout ce gris tenace, épais, maussade,
Sera celui que moi je vois, les yeux fermés ? ...

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

Ou bien, alors, prenons-le contrefait,
Cagneux, pointu, perclus, minable ;
Qu’il flotte en ses effets
Comme un épouvantail — et semble inguérissable
Des pires maux, connus ou inconnus !

Prenons-le blême et vieux, que son crâne soit nu,
Ses yeux rougis, sa lèvre amère —
Et que rien ne paraisse au monde plus précaire,
Plus laid, plus rechigné que cet être vivant,

Afin que, chaque jour, l’apercevant
Comme un défi, parmi les fleurs venant d’éclore,
Nous pensions, rassurés, soulagés, fiers un peu
De nous sentir si forts par contraste: « Grand Dieu !
Qu’il doit être savant pour vivre encore ! »

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G
Vous pouvez lire toute l'oeuvre poétique de Sabine Sicaud à nouveau sur ce nouveau lien :<br /> <br /> https://www.sabine-sicaud.com/
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  • : POEME-TEXTE-TRADUCTION
  • : Pour les passionnés de Littérature je présente ici mes livres qui sont edités chez DAR EL GHARB et EDILIVRE. Des poèmes aussi. De la nouvelle. Des traductions – je ne lis vraiment un texte que si je le lis dans deux sens.
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