Choix de textes
Adaptations personnelles
Tenebrae
Proche nous sommes, seigneur,
Proche et saisissable. Déjà saisi, seigneur,
Agrippés l'un à l'autre, comme si
Le corps de chacun d'entre nous
Était ton corps, seigneur. Prie, seigneur,
Prie-nous,
Nous sommes proche .Déformés nous sommes allés,
Nous sommes allés, pour nous baisser
Vers l'auge et les trous.
Vers l'abreuvoir nous sommes allés, seigneur.
C'était du sang, c'était ce que tu avais
Fait couler, seigneur. Cela brillait.
Cela nous jetait ton image dans les yeux, seigneur. Nous avons bu, seigneur.
Le sang et l'image, qui était dans le sang, seigneur. Prie, seigneur.
Nous sommes proche.
Corona
Du dedans de la main, l’automne dévore sa feuille : nous sommes amis
Nous libérons le temps de la coquille de noix
Et nous lui apprenons à marcher
Le temps retourne vers sa coquille
Dans le miroir c’est dimanche
Dans le rêve nous dormons
La bouche parle vérité
Mon regard descend vers le sexe de l’aimée
Nous regardons
Nous nous parlons des ténèbres
Nous nous aimons comme pavot et mémoire
Nous dormons comme vin dans les coquillages
Comme mer dans les rayons de sang de la lune
Nous nous tenons enlacés près de la fenêtre
Ils nous dévisagent de la rue
Il est grand temps que l’on sache
Il est grand temps que la pierre s’habitue à fleurir
Que le non-repos batte au cœur
Il est temps que le temps soit
Il est temps
Chanson d'une dame dans l'ombre
Quand vient la Silencieuse et coupe la tête des tulipes :
Qui gagne ?
Qui perd ?
Qui s'avance vers la fenêtre ?
Qui nomme en premier son nom ?
Il en est un, qui porte mes cheveux
Il les porte comme on porte les morts à bout de bras.
Il les porte comme le ciel portait mes cheveux dans l'année, celle où j'aimais
Ainsi il les portait par vanité
Celui-là gagne.
Celui-là ne perd pas.
Celui-là ne s'avance pas vers la fenêtre
Celui-là ne nomme pas son nom.
Il en est un, qui a mes yeux.
il les a, depuis que les grandes portes se sont refermées.
il les porte comme anneau aux doigts.
Il les porte comme éclats de plaisir et de saphir :
Il était déjà mon frère à l'automne ;
Il compte déjà et les jours et les nuits.
Celui-là gagne.
Celui-là ne perd pas.
Celui-là ne s'avance pas vers la fenêtre
Celui-là nomme son nom en dernier.
Il en est un, qui a ce que j'ai dit.
Il le porte sous le bras comme un paquet.
Il le porte comme l'horloge porte sa plus mauvaise heure.
Il le porte de seuil en seuil, il ne le jette pas au loin.
Celui-là ne gagne pas.
Celui-là perd.
Celui-là s'avance vers la fenêtre
Celui-là nomme son nom en premier.
Celui-là sera décapité avec les tulipes
Fugue de mort
Lait noir du petit matin nous le buvons au soir
Nous le buvons au midi et au matin nous le buvons à la nuit
Nous buvons et buvons
À la pelle nous creusons une tombe dans les airs là on gît non serré
Un homme habite dans la maison celui-ci joue avec les serpents celui-ci écrit
Celui-ci écrit quand vers l'Allemagne le noir tombe tes cheveux d'or Margarete
Il écrit cela et marche au-dehors et les étoiles fulgurent Il siffle ses molosses
Il siffle pour faire sortir ses juifs les laissant à la pelle creuser une tombe dans la terre
Il nous commande jouez jusqu'à la danse
Lait noir du petit matin nous te buvons à la nuit
Nous te buvons au matin au midi nous te buvons au soir
Et buvons et buvons
Un homme habite dans la maison celui-ci joue avec les serpents celui-ci écrit
Celui-ci écrit quand vers l'Allemagne le noir tombe tes cheveux d'or Margarete
Tes cheveux de cendre Sulamit à la pelle nous creusons une tombe dans les airs là on gît non serré
Il crie enfoncez vos pelles plus profond dans la croûte de la terre vous autres chantez et jouez
Il se saisit du fer à sa ceinture il l'agite ; ses yeux sont bleus
Vous là enfoncez plus les bêches vous autres jouez encore jusqu'à la danse
Lait noir du petit matin nous te buvons à la nuit
Nous te buvons au midi et au matin nous te buvons au soir
Nous buvons et buvons
Un homme habite la maison tes cheveux d'or Margarete
tes cheveux de cendre Sulamit il joue avec les serpents
il crie jouez plus douce la mort
la mort est un maître venu d'Allemagne
il crie plus sombres les violons et alors vous monterez en fumée dans l'air
alors vous aurez une tombe dans les nuages où l'on gît non serré
Lait noir du petit matin nous te buvons à la nuit
Nous te buvons au midi la mort est un maître venu d'Allemagne
Nous te buvons au soir et au matin nous buvons et buvons
la mort est un maître venu d'Allemagne ses yeux sont bleus
Il t'atteint avec une balle de plomb il ne te rate pas
Un homme habite la maison tes cheveux d'or Margarete
Il jette ses molosses contre nous il nous offre une tombe dans l'air
Il joue avec les serpents et rêve la mort est un maître venu d'Allemagne
Tes cheveux d'or Margarete
Tes cheveux de cendre Sulamit
Il y avait de la terre en eux, et
ils creusaient des tombes.
Ils creusaient et creusaient des tombes, leur jour s'en allait ainsi, leur nuit.
Et ils ne louaient pas Dieu
qui, ainsi l'entendaient-ils, avait voulu tout cela,
qui, ainsi l'entendaient-ils, avait voulu tout cela.
Ils creusaient des tombes et n'entendaient plus rien
ils ne devenaient pas plus sages, ne trouvaient aucun chant,
n'inventaient aucune langue.
ils creusaient des tombes.
Il vint un calme, il vint aussi un orage
vinrent les mers, toutes.
je creuse, tu creuses, des tombes.
Le ver fait de même, il creuse,
Et ce qui chante au loin dit : ils creusent des tombes.
O l'un, o aucun, o personne, o toi :
Où cela allait, puisque cela n'allait nulle part ?
O tu creuses des tombes et je creuse une tombe, et je me creuse une tombe pour aller vers toi
et au doigt s'éveille un anneau.
Temps des péniches
les transformés à moitié se traînent
jusqu'à l'un des mondes
le déposé, réenclos,
parle sous les fronts de la rive :
de la mort quitte, de dieu
quitte.
Rapatrié dans l'oubli
le parler-hôte de nos
yeux lents
rapatrié syllabe par syllabe, partagé
par les dés aveugles de jour, vers quoi
s'agrippe la main du joueur, grande,
dans le réveil
Et le trop de mes discours :
déposé sur le petit
cristal dans le fardeau de ton silence.
une étoile de bois, bleue,
faite de petits losanges, aujourd'hui, par
la plus jeune de nos mains
Le mot, pendant que tu fais tomber du sel de la nuit, le regard
cherche à nouveau la galerie du vent :
- une étoile, entre-la,
entre l'étoile dans la nuit.
(- dans la mienne, dans
la mienne.)
Cologne
Temps du cœur, ils sont debout
les rêvés
pour les chiffres de minuit.
un peu parla dans le silence immobile, un peu se tut
un peu alla son chemin.
Banni et perdu
étaient chez eux.
Vous cathédrales.
Vous cathédrales, pas vu
vous fleuves, pas entendu
vos horloges si profondes en nous.
Lit de neige
Yeux, aveugles au monde, dans la faille du mourir : je viens,
pousse rude au cœur.
je viens.
Mur de l'abrupt, miroir de la lune. En bas.
(Lueur tachée de souffle. Sang strié.
Âme nuageuse qui encore une fois est proche d'une figure.
Ombre des dix doigts-enserrés)
Yeux, aveugles au monde
yeux dans la faille du mourir,
Yeux, yeux ;
Le lit de neige sous nous deux, le lit de neige.
Cristal sur cristal,
au temps profond emprisonné, nous tombons,
nous tombons et gisons et tombons,
et tombons :
Nous fûmes, nous sommes.
Nous sommes une chair avec la nuit,
à la lisière, à la lisière.
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une fois
et là je l'ai entendu,
là il lavait le monde
hors des regards, toute la nuit durant
réellement.
un et sans fin
anéanti,
néantirent
lumière fut, délivrance
***
la table flotte la nuit dehors, la nuit dedans
et au-dessus de moi m'inondent les drapeaux du peuple
et à côté de moi les hommes rament pour amener les cercueils à terre
Et sous moi s'enciele, s'étoile comme chez moi à la Saint-Jean!
Et je te parcours du regard,
enflammée de soleil ;
pense à ce temps, où la nuit grimpait avec nous sur la montagne
pense à ce temps,
pense que je fus, ce que je suis :
un maître de cachots et de tours,
un souffle dans les ifs, un ivrogne dans la mer,
un mot où tu descends te brûler.
Toute la vie
les soleils des demi-sommeils sont bleus comme
tes cheveux une heure avant le jour.
Eux aussi poussent vite comme l'herbe sur la tombe d'un oiseau
Eux aussi sont attachés par le jeu, que nous jouiions comme un rêve sur les bateaux de la joie.
Aux falaises crayeuses du temps les poignards aussi les rencontrent.
les soleils des sommeils profonds sont plus bleus : comme ta boucle
ne le fut qu'une fois ;
je m'attardais comme un vent de nuit sur le sein à vendre de ta sœur
tes cheveux pendaient sur l'arbre d'en dessous, mais tu n'étais pas là.
Nous étions le monde, et toi tu étais un arbuste devant les portes.
Les soleils de la mort sont blancs comme les cheveux de notre enfant :
Il s'éleva des eaux montantes, quand tu dressas une tente sur la dune.
Il sortit le couteau du bonheur aux yeux éteints.
Toi aussi parle
Toi aussi parle
parle comme le dernier
dit ton message
Parle -
Mais ne sépare pas le oui du non
Donne aussi le sens à ton message :
donne lui l'ombre.
Donne-lui assez d'ombre,
donne-lui en tant,
que tu en sais autour de toi partagée
entre minuit et midi et minuit.
Regarde alentour,
vois, comment ce qui t'entoure devient vivant -
Par la mort ! Vivant !
Celui dit vrai, qui parle d'ombre.
Mais voici que s'étiole l'endroit ou tu es ;
Maintenant où aller, à découvert d'ombre, où aller ?
Monte. vers le haut en tâtonnant.
Plus grêle tu deviens, plus méconnaissable, plus fin !
Plus fin : un fil,
où l'étoile veut descendre :
pour nager en bas, tout en bas,
là où elle se voit luire : dans la houle
des mots errants.
Dans le rouge du tard
Dans le rouge du tard les noms dorment :
un
ta nuit en éveille
et le conduit, accompagné de blancs bâtons,
à tâtons vers le mur du sud de ton cœur,
sous les pins :
l'un, de taille d'homme,
franchit en marchant, la ville des potiers
là où la pluie entre en amie
d'une heure de la mer.
Dans le bleu
il prononce un mot d'arbre d'ombre promise,
et ton nom aimé
recompte et dépose ses syllabes.
Ce qui luit
Le corps silencieux
tu reposes près de moi dans le sable,
étoilée au-dessus de toi.
Est-ce un rayon
qui perça jusqu'à moi ?
Ou bien était-ce la sentence
que l'on rendit contre nous ?
Qui répand cette lumière ?
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Ce soir aussi
Pleinement,
la neige emplit cette mer
où le soleil flotte,
fleurit dans les paniers la glace
que tu portes vers la ville.
Sable,
tu exiges pour cela,
car la dernière rose intérieure
veut aussi ce soir être rassasiée
de l'heure qui s'écoule.
Avec une clé changeante
Avec une clé changeante
tu ouvres la maison, dans laquelle
tournoie la neige des choses tues
Et au gré du sang, qui sourd
des yeux ou de la bouche ou de l'oreille,
ta clé change.
Change ta clé, change le mot,
qui doit suivre le tournoiement des flocons.
Au gré du vent qui te pousse en avant,
s'enroule autour du mot la neige
Talus, remblais, lieux vides, gravats
Gain de lumière, mesurable, ressemblant
au chardon :
Un peu
de rouge, en discussion
avec un peu de jaune.
Le voile de l'air devant
ton œil désespéré.
Le dernier grain de sable
chevauchant.
(les
massifs de fleurs, autrefois,
les mots tout sourire du Marchfeld,
de l'herbe des steppes là-bas.
le manège mort, sonne.
Nous tournions encore et encore.)
La chevauchée du grain de sable, l'œil,
à elle habilement lié.
Les portes des heures et
leurs bruissements.
Le monde, avançant
vers nous dans l'heure vide :
Deux
troncs d'arbres, noirs,
sans branche, sans
nœud.
Et dans la traînée du réacteur, coupante,
une pale isolée.
Nous aussi, dans le vide,
nous nous tenons près des drapeaux.
Fleur
La pierre.
La pierre dans l'air, celle que je suivais.
Ton œil, aussi aveugle que la pierre.
Nous étions
des mains,
nous vidions les ténèbres, nous trouvions
le mot, qui remontait l'été :
Fleur.
Fleur - un mot d'aveugle
Ton œil et mon œil:
ils s'inquiètent de l'eau.
Veille silencieuse,
pan de cœur par pan de cœur
cela s'enfeuille.
Un mot encore, comme celui-là, et les marteaux
s'élancent dans l'espace libre.
Tant d'étoiles, que l'on nous tend.
J'étais,
quand je te vis - quand ? -
dehors parmi
les autres mondes.
O ces chemins, galactiques,
O cette heure, qui nous
compléta des nuits sur le fardeau de nos noms. Il n'est,
je le sais, pas vrai,
que nous ayons vécu, il passa aveugle un souffle entre
Là-bas et Pas-là et le Parfois,
un œil siffla comme une comète
allant vers l'éteint, dans les ravins,
là, où cela se consume sans éclat, se tenait
le temps, en majesté
et déjà vers le haut, vers le bas, poussait sur lui
ce qui fut ou ce qui sera -,
je sais,
je sais et tu sais, nous savions,
nous ne savions pas, mais
nous étions pourtant là et pas là-bas,
et de temps en temps, quand
seul le Rien se tenait entre nous,
alors nous étions totalement l'un et l'autre
En haut,
les voyageurs
demeurent
inaudibles
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éloge du loin
Dans la source de tes yeux
Vivent les filets des pêcheurs des mers devenues folles
Dans la source de tes yeux
la mer tient sa promesse
J'y précipite
cœur ayant vécu parmi les humains
les vêtements que j'ai porté
l'éclat d'un serment
Plus noir que dans le noir, je suis encore plus nu
Je suis toi, quand moi je suis moi
Dans la source de tes yeux
j'erre et je rêve de pillage
Dans la source de tes yeux
Un pendu étrangle la corde
Mandorle
Dans l'amande - qu'est ce qui se tient dans l'amande ?
Le Rien.
Il se tient le Rien dans l'amande.
Il se tient là et s'y tient.
Dans le Rien - qui se tient ? Le Roi.
Là se tient le Roi, le Roi.
Là il se tient, il se tient.
Boucle de juif, tu ne deviendras pas grise
Et ton œil - Vers où se tient ton œil ?
Ton œil se tient face à l'amande.
Ton œil, qui se tient face au Rien.
Il se tient auprès du Roi.
Ainsi il se tient, et se tient.
Boucle d'homme, tu ne deviendras pas grise
Amande vide, bleu du Roi.
Demeure double. Éternel tu es,
inhabitable. Pour cela
nous bâtissons, nous nous bâtissons.
pour cela il se dresse ce pitoyable lieu du lit,- sous la pluie
il se dresse.
Viens aimée,
que nous soyons couchés ici, c'est
le mur de séparation - Il
se suffit à lui-même, deux fois.
Laisse-le, il est tout à lui, en tant
que la moitié et encore une fois la moitié. Nous,
nous sommes le lit de la pluie, qu'il vienne et
et nous étende enfin à sécher.
........
Il ne vient pas, il ne nous étend pas à sécher.
LA NUIT, quand le pendule de l'amour balance
entre Toujours et Jamais,
ta parole vient rejoindre les lunes du cœur
et ton œil bleu
d'orage tend le ciel à la terre.
D'un bois lointain, d'un bosquet noirci de rêve
l'Expiré nous effleure
et le Manqué hante l'espace, grand comme les spectres
du futur.
Ce qui maintenant s'enfonce et soulève
vaut pour l'Enseveli au plus intime :
embrasse, aveugle, comme le regard
que nous échangeons, le temps sur la bouche.
Traducteur inconnu
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Tübingen, janvier
Des yeux sous un flot de mots
aveuglés.
Leur – « énigme
ce qui naît
de source pure » –, leur
souvenir
de tours Hölderlin nageant, tournoyées
de mouettes.
visites de menuisiers noyés
à ces
mots qui plongent :
S’il venait,
venait un homme,
venait un homme au monde, aujourd’hui, avec
la barbe de clarté
des patriarches : il devrait
s’il parlait de ce
temps, il
devrait bégayer seulement, bégayer,
toutoutoujours
bégayer.
(« Pallaksch. Pallaksch. »
Paul Celan, La Rose de Personne, traduction de l’allemand et postface de Martine Broda, édition bilingue, collection Points/Poésie, 2007, p. 38 et 39. Cette traduction a été publiée précédemment par les Editions José Corti en 2002, p. 40 et 41
Tübingen, nivôse
Yeux, per-
suadés d’être aveugles.
Leur – « énigme
ce qui naît
d’un jaillissement pur »–, leur
souvenir des
tours nageantes de Hölderlin, bruissantes
de mouettes
Visites de menuisiers noyés
à ces
paroles plongeantes :
Vienne,
vienne un homme,
vienne un homme, au monde, aujourd’hui
portant la barbe de lumière
des patriarches : il ne
pourrait, parlât-il
de ce temps, il
ne pourrait
que bégayer, bégayer, sans
fin, sanfin.
(« Pallaksch. Pallaksch. »
Paul Celan, traduction de John E. Jackson, édition José Corti, 2004. Cité in La pensée musicale de György Kurtág (sous la direction de Pierre Maréchaux et Grégoire Tosser, Presses Universitaires de Rennes, 2009.
Par ailleurs, Philippe Lacoue Labarthe dans son livre La poésie comme expérience, analyse ce poème et en donne trois traductions, celle de Martine Broda, celle d’André du Bouchet et la sienne.
Tübingen, Janvier
A cécité même
mues, pupilles.
Leur – « énigme cela,
qui est pur
jaillissement » –, leur
mémoire de
tours Hölderlin nageant, d’un battement de mouettes
serties
Visites de menuisiers engloutis par
telles
paroles plongeant :
S’il venait
venait un homme,
homme venait au monde, aujourd’hui avec
clarté et barbe des
patriarches : il lui faudrait,
dût-il parler de telle
époque, il lui faudrait
babiller uniquement, babiller
toujours et toujours ba-
biller iller
(« Pallaksch. Pallaksch. »
(traduction d’André du Bouchet, in Philippe Lacoue-Labarthe, La poésie comme expérience, Christian Bourgois, 1986, 1997, p. 19)
Tübingen, janvier
sous un flot d’éloquence,
aveuglés, les yeux.
Leur – « une
énigme est le
pur jailli « –, leur
mémoire de
tours Hölderlin nageant, tour-
noyées de mouettes
Visites de menuisiers submergés sous
ces
paroles plongeant :
Viendrait,
viendrait un homme
viendrait un homme au monde, aujourd’hui, avec
la barbe de lumière des
Patriarches : il n’aurait,
parlerait-il de ce
temps, il
n’aurait
qu’à bégayer, bégayer
sans cesse
sans cesse.
(« Pallaksch. Pallaksch. »
(traduction de Philippe Lacoue-Labarthe, in Philippe Lacoue-Labarthe, La poésie comme expérience, Christian Bourgois, 1986, 1997, p. 28)
PSAUME
Personne ne nous pétrira de nouveau dans la terre et l'argile,
personne ne soufflera la parole sur notre poussière.
personne.
Loué sois-tu, Personne.
C'est pour toi que nous voulons
fleurir
A ta
rencontre.
Un rien,
voilà ce que nous fûmes, sommes et
resterons, fleurissant :
la rose de Rien, la
rose de Personne
Avec
la clarté d'âme du pistil
l'âpreté céleste de l'étamine,
la couronne rouge
du mot pourpre que nous chantions,
au-dessus, ô, au-dessus
de l'épine.
Paul Celan, in Anthologie bilingue de la poésie allemande, bBbliothèque de la Pléiade 1993, page 1188.
"Parle –
Mais sans séparer le non du oui.
Donne aussi le sens à ta parole
donne-lui l'ombre
Donne-lui assez d'ombre,
donne-lui autant d'ombre
que tu en sais partagée autour de toi entre
minuit et midi et minuit. "
Paul Celan, en mémoire de la Shoah et d’Auschwitz.
GLOIRE DE CENDRES derrière
tes mains nouées-ébranlées
au trois-chemins.
Naguère Pontique : ici,
simple goutte,
sur
la pale d’aviron noyée,
tout au fond
du serment pétrifié,
on entend soudain sa rumeur.
(Sur la corde de souffle
verticale, autrefois,
plus haute qu’en haut,
entre deux nœuds de douleur, tandis
que la luisante
Lune des Tatares grimpait vers nous,
je me suis affouillé en toi et en toi.)
Gloire de
cendres
derrière vous mains
de trois-chemins.
Les dés jetés, de l’Est, avant et
devant vous, terribles.
Personne
ne témoigne pour le
témoin.
Paul Celan, Renverse du Souffle, in Paul Celan, Choix de poèmes réunis par l’auteur, traduction et présentation de Jean-Pierre Lefebvre, Poésie/Gallimard n° 326, Gallimard, 1998, p. 262 et 263.
Paul Celan, Renverse du Souffle, in Paul Celan, choix de poèmes réunis par l’auteur, traduction et présentation de Jean-Pierre Lefebvre, Poésie/Gallimard n° 326, Gallimard, 1998, p. 262
Anthologie permanente : Paul Celan
bruit la fontaine
vous couteaux aiguisés de prière,
de blasphème, de prière,
de mon
silence.
Vous mes paroles, qui vous estropiez
avec moi, vous
mes paroles droites.
Et toi :
toi, toi, toi,
de vérité chaque jour plus vraie
écorché, mon plus-tard
des roses – :
Combien, ô combien
du monde. De
chemins.
Aile, tu es béquille. Nous ––
Nous chanterons la chanson d’enfant, celle,
entends-tu, celle
avec les « hom », avec les « mes », avec les hommes, oui, celle
avec la broussaille, avec
la paire d’yeux, qui restait prête là-bas :
larme-et-
larme.
Paul Celan, La Rose de Personne, traduction de l’allemand et postface de Martine Broda, édition bilingue, Points Poésie, 2007, p. 58 et 59
extrait 1, extrait 2, extrait 3, extrait 4 (correspondance avec Nelly Sachs)
Avec toutes les pensées je suis sorti
hors du monde : tu étais là,
toi, ma silencieuse, mon ouverte, et —
tu nous reçus.
Qui
dit que tout est mort pour nous
quand notre œil s’éteignit ?
Tout s’éveilla, tout commença.
Grand, un soleil est venu à la nage, claires,
âme et âme lui ont fait face, nettes,
impératives, elles lui ont tu
son orbe.
Sans peine,
ton sein s’est ouvert, paisible,
un souffle est monté dans l’éther,
et ce qui s’est nué, n’était-ce pas,
n’était-ce pas forme, et sortie de nous,
n’était-ce pas
pour ainsi dire un nom ?
Paul Celan, La Rose de personne (Die Niemandsrose), édition bilingue, traduction de Martine Broda, Le Nouveau Commerce, 1979 (S. Fischer Verlag, 1963), p. 31 et 30.Et La Rose de personne, édition bilingue, traduction Martine Broda, José Corti, 2002, pp. 30,
Qu’est-il arrivé ? La pierre est sortie de la montagne.
Qui s’est éveillé ? Toi et moi.
Langue, langue. Étoile-sœur. Terre-voisine.
Plus pauvre. Ouverte. Natale.
Où ça allait ? Vers du sonne-encore.
Avec la pierre, avec nous deux.
Cœur et cœur. Trouvé trop lourd.
Devenir plus lourd. Être plus léger.
Celan
à ton ombre, à ton
ombre toute mal-sonnée aussi
j’ai donné sa chance,
elle, elle aussi
je l’ai lapidée à coups de moi-même,
moi le droit-ombré, le droit-
sonné –
étoile à six branches
à laquelle tu as
adonné ton silence.
aujourd’hui
adonne ce silence où tu veux,
catapultant du sous-sacralisé par l’époque,
depuis longtemps, moi aussi, dans la rue,
je sors, pour n’accueillir aucun cœur,
jusque chez moi dans le pierreux-
multiple.
Paul Celan, Partie de neige, édition bilingue ; traduit de l’allemand et annoté par Jean-Pierre Lefebvre, éditions du Seuil, 2007, p. 51.
20.1.1970
Depuis longtemps
ce qui est étranger nous tient dans ses filets,
l’éphémérité germe,
désemparée, à travers nous
prends mon pouls, lui aussi,
compte-le, en toi,
alors nous nous imposerons,
contre toi, contre moi
quelque chose nous habille
de peau de jour, de peau de nuit
pour le jeu avec le suprême sérieux.
Paul Celan, Ilana Shmueli, Correspondance (1965-1970), éditée par Ilana Shmueli et Thomas Sparr, traduction de l’allemand, révision et adaptation des notes de Bertrand Badiou, Le Seuil, 2006, p.113
Paul Celan dans Poezibao :
marée basse. Nous avons vu
les balanes, vu
les bernicles, vu
les ongles sur nos mains.
Personne n’a découpé le mot dans la paroi de notre cœur.
(Traces du crabe des plages, le lendemain,
sillons de rampants, galeries d’habitation, dessin
du vent dans la vase
grise. Sable fin,
sable gros,
détaché des parois, auprès
d’autres parties dures, dans les
débris.)
Un œil, aujourd’hui,
l’a donné à son frère, tous deux,
fermés, ont suivi le courant jusqu’à
leur ombre, déchargé
la cargaison (personne
n’a découpé le mot dans — —), fait ressortir
le harpon — une langue de terre, devant
un silence
minuscule et non navigable.
Paul Celan, Grille de parole [Sprachgitter, 1959], traduit de l’allemand par Martine Broda, édition bilingue, Christian Bourgois, 1991, repris Points/Seuil, 2008, p. 87 et 86.
give the word.
La cervelle entaillée — à moitié ? aux trois quarts ? —,
tu donnes, obscurci de nuit, les formules — celles-ci :
« Flèches des Tatares. »
« Bouillie d’art. »
« Souffle. »
Tous viennent, il ne manque ni les uns, ni les unes.
(Siphètes et Probylles sont là.)
Vient un homme.
Grosse comme la pomme terrestre la larme à côté de toi,
traversée de bruit, de
réponse,
réponse,
réponse.
Gelée de part en part — par qui ?
« Passez », dis-tu,
« passez »,
« passez ».
La lèpre silencieuse se décolle de ton palais
éventail caressant ta langue de lumière,
de lumière.
Paul Celan, Renverse du souffle, édition bilingue ; traduit et annoté par Jean-Pierre Lefebvre, Seuil, 2003, p. 106-107.
On lira une autre version du poème de Celan, dans Paul Celan, Gisèle Celan-Lestrange, Correspondance, éditée et commentée par Bertrand Badiou avec le concours d'Éric Celan, Seuil, 2001, Tome I, p. 246-247, avec la traduction de B. Badiou, et Tome 2, p. 216-218 pour les notes.
*
give the word.
« Passé », dis-tu
« passé »
« passé »
Paul Celan
Qu’est-ce que cela veut dire ?
Ils font tous semblant
lisant tes vers
de le savoir exactement
pourtant ils ne le savent pas
ou ne le savent qu’à moitié
et ne veulent pas en savoir plus
ne veulent plus en savoir plus – que quoi ?
Que signifie :
« Passé », dis-tu
« passé »,
« passé » ?
J’écoute et demande
à qui ?
À ma grand-mère
qui venait de ton pays
voici longtemps qu’elle n’est plus que cendres et fumée de camp
mais lorsqu’elle parlait encore elle disait souvent « passé »
Ce qui voulait dire « pulvérisé par une passoire »
Passé signifiait aussi « arrivé ou advenu »
Mais tout ce qui se passe (disait-elle)
passe du même coup
c’est-à-dire « ne fait que passer »
Ce qui advient passe
mais reste la poussière
qui passe à travers les filets de l’ennemi
Dis-moi poussière :
ai-je bien compris ?
et passé l’examen ?
« Passé », dis-tu
« passé »,
« passé ».
FENÊTRE DE HUTTE
Sombre, l’œil :
comme fenêtre de hutte. Il rassemble
ce qui fut monde, reste monde : l’Est
qui erre, ceux
qui planent, les
Hommes-et-les-Juifs,
le peuple-des-nuées, magnétiquement,
te hâle, terre,
de ses doigts de coeur:
tu viens, tu viens,
demeure nous aurons; demeure, quelque chose
_ un souffle ? un nom ? _
parcourt l’étendue orpheline,
agile, massif,
l’aile de
l’ange, lourde d’invisible, au
pied écorché, qu’amarre
par le poids de sa tête
la grêle noire qui
tombait là-bas aussi, à Witebsk,
_ et eux, qui la semaient, ils
la rayent de
leur griffe, mimétique, de poing blindé! _
quelque chose va, parcourt,
quête,
quête vers le bas,
quête vers le haut, au loin, quête
de l’œil, arrache
Alpha du Centaure, Arcturus, arrache
de surcroît le rayon, hors des tombes,
va vers Ghetto, vers Eden, recueille
la constellation dont lui,
l’homme, a besoin pour demeure, ici,
parmi les hommes,
mesure
les lettres et l’âme mortelle _
immortelle de ces lettres,
va vers Aleph et Jud et va plus loin,
le bâtit, le bouclier de David, le fait
s’embraser, une fois,
le fait s’éteindre _ le voici qui se tient,
invisible, qui se tient
près d’Alpha et d’Aleph, près de Jud,
près des autres, près de
tous : en
toi,
Beth, _ c’est
la maison où la table se tient avec
la lumière et la lumière.
Paul Celan, Poèmes, traduit de l’allemand et préfacé par John E. Jackson, édition bilingue, vignette de couverture de Miklos Bokor, 1987, nouvelle édition 1996, pp. 38-43
Paul Celan