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4 septembre 2011 7 04 /09 /septembre /2011 12:48

    Paul Celan 

 

Choix de textes

 

Adaptations personnelles

 

Tenebrae

 

Proche nous sommes, seigneur,

Proche et saisissable. Déjà saisi, seigneur,

Agrippés l'un à l'autre, comme si

Le corps de chacun d'entre nous

Était ton corps, seigneur. Prie, seigneur,

Prie-nous,

Nous sommes proche .Déformés nous sommes allés,

Nous sommes allés, pour nous baisser

Vers l'auge et les trous.

 

Vers l'abreuvoir nous sommes allés, seigneur.

 

C'était du sang, c'était ce que tu avais

Fait couler, seigneur. Cela brillait.

Cela nous jetait ton image dans les yeux, seigneur. Nous avons bu, seigneur.

Le sang et l'image, qui était dans le sang, seigneur. Prie, seigneur.

Nous sommes proche.

 

 

 

 

 

Corona

 

Du dedans de la main, l’automne dévore sa feuille : nous sommes amis

Nous libérons le temps de la coquille de noix

Et nous lui apprenons à marcher

Le temps retourne vers sa coquille

Dans le miroir c’est dimanche

Dans le rêve nous dormons

La bouche parle vérité

Mon regard descend vers le sexe de l’aimée

Nous regardons

Nous nous parlons des ténèbres

Nous nous aimons comme pavot et mémoire

Nous dormons comme vin dans les coquillages

Comme mer dans les rayons de sang de la lune

Nous nous tenons enlacés près de la fenêtre

Ils nous dévisagent de la rue

Il est grand temps que l’on sache

Il est grand temps que la pierre s’habitue à fleurir

Que le non-repos batte au cœur

Il est temps que le temps soit

Il est temps

 

 

 

 

Chanson d'une dame dans l'ombre

 

Quand vient la Silencieuse et coupe la tête des tulipes :

Qui gagne ?

Qui perd ?

Qui s'avance vers la fenêtre ?

Qui nomme en premier son nom ?

Il en est un, qui porte mes cheveux

Il les porte comme on porte les morts à bout de bras.

Il les porte comme le ciel portait mes cheveux dans l'année, celle où j'aimais

Ainsi il les portait par vanité

Celui-là gagne.

Celui-là ne perd pas.

Celui-là ne s'avance pas vers la fenêtre

Celui-là ne nomme pas son nom.

Il en est un, qui a mes yeux.

il les a, depuis que les grandes portes se sont refermées.

il les porte comme anneau aux doigts.

Il les porte comme éclats de plaisir et de saphir :

Il était déjà mon frère à l'automne ;

Il compte déjà et les jours et les nuits.

Celui-là gagne.

Celui-là ne perd pas.

Celui-là ne s'avance pas vers la fenêtre

Celui-là nomme son nom en dernier.

Il en est un, qui a ce que j'ai dit.

Il le porte sous le bras comme un paquet.

Il le porte comme l'horloge porte sa plus mauvaise heure.

Il le porte de seuil en seuil, il ne le jette pas au loin.

Celui-là ne gagne pas.

Celui-là perd.

Celui-là s'avance vers la fenêtre

Celui-là nomme son nom en premier.

Celui-là sera décapité avec les tulipes

 

 

 

 

Fugue de mort

 

Lait noir du petit matin nous le buvons au soir

Nous le buvons au midi et au matin nous le buvons à la nuit

Nous buvons et buvons

À la pelle nous creusons une tombe dans les airs là on gît non serré

Un homme habite dans la maison celui-ci joue avec les serpents celui-ci écrit

Celui-ci écrit quand vers l'Allemagne le noir tombe tes cheveux d'or Margarete

Il écrit cela et marche au-dehors et les étoiles fulgurent Il siffle ses molosses

Il siffle pour faire sortir ses juifs les laissant à la pelle creuser une tombe dans la terre

Il nous commande jouez jusqu'à la danse

 

Lait noir du petit matin nous te buvons à la nuit

Nous te buvons au matin au midi nous te buvons au soir

Et buvons et buvons

Un homme habite dans la maison celui-ci joue avec les serpents celui-ci écrit

Celui-ci écrit quand vers l'Allemagne le noir tombe tes cheveux d'or Margarete

Tes cheveux de cendre Sulamit à la pelle nous creusons une tombe dans les airs là on gît non serré

 

Il crie enfoncez vos pelles plus profond dans la croûte de la terre vous autres chantez et jouez

Il se saisit du fer à sa ceinture il l'agite ; ses yeux sont bleus

Vous là enfoncez plus les bêches vous autres jouez encore jusqu'à la danse

 

Lait noir du petit matin nous te buvons à la nuit

Nous te buvons au midi et au matin nous te buvons au soir

Nous buvons et buvons

Un homme habite la maison tes cheveux d'or Margarete

tes cheveux de cendre Sulamit il joue avec les serpents

il crie jouez plus douce la mort

la mort est un maître venu d'Allemagne

il crie plus sombres les violons et alors vous monterez en fumée dans l'air

alors vous aurez une tombe dans les nuages où l'on gît non serré

 

Lait noir du petit matin nous te buvons à la nuit

Nous te buvons au midi la mort est un maître venu d'Allemagne

Nous te buvons au soir et au matin nous buvons et buvons

la mort est un maître venu d'Allemagne ses yeux sont bleus

Il t'atteint avec une balle de plomb il ne te rate pas

Un homme habite la maison tes cheveux d'or Margarete

Il jette ses molosses contre nous il nous offre une tombe dans l'air

Il joue avec les serpents et rêve la mort est un maître venu d'Allemagne

Tes cheveux d'or Margarete

Tes cheveux de cendre Sulamit

 

 

 

 

Il y avait de la terre en eux, et

ils creusaient des tombes.

Ils creusaient et creusaient des tombes, leur jour s'en allait ainsi, leur nuit.

Et ils ne louaient pas Dieu

qui, ainsi l'entendaient-ils, avait voulu tout cela,

qui, ainsi l'entendaient-ils, avait voulu tout cela.

Ils creusaient des tombes et n'entendaient plus rien

ils ne devenaient pas plus sages, ne trouvaient aucun chant,

n'inventaient aucune langue.

ils creusaient des tombes.

 

Il vint un calme, il vint aussi un orage

vinrent les mers, toutes.

je creuse, tu creuses, des tombes.

Le ver fait de même, il creuse,

Et ce qui chante au loin dit : ils creusent des tombes.

O l'un, o aucun, o personne, o toi :

Où cela allait, puisque cela n'allait nulle part ?

O tu creuses des tombes et je creuse une tombe, et je me creuse une tombe pour aller vers toi

et au doigt s'éveille un anneau.

 

 

Temps des péniches

les transformés à moitié se traînent

jusqu'à l'un des mondes

 

le déposé, réenclos,

parle sous les fronts de la rive :

de la mort quitte, de dieu

quitte.

 

Rapatrié dans l'oubli

le parler-hôte de nos

yeux lents

rapatrié syllabe par syllabe, partagé

par les dés aveugles de jour, vers quoi

s'agrippe la main du joueur, grande,

dans le réveil

 

Et le trop de mes discours :

déposé sur le petit

cristal dans le fardeau de ton silence.

 

 

une étoile de bois, bleue,

faite de petits losanges, aujourd'hui, par

la plus jeune de nos mains

 

Le mot, pendant que tu fais tomber du sel de la nuit, le regard

cherche à nouveau la galerie du vent :

- une étoile, entre-la,

entre l'étoile dans la nuit.

(- dans la mienne, dans

la mienne.)

 

 

 

 

 

Cologne

 

Temps du cœur, ils sont debout

les rêvés

pour les chiffres de minuit.

 

un peu parla dans le silence immobile, un peu se tut

un peu alla son chemin.

Banni et perdu

étaient chez eux.

 

Vous cathédrales.

Vous cathédrales, pas vu

vous fleuves, pas entendu

vos horloges si profondes en nous.

Lit de neige

 

Yeux, aveugles au monde, dans la faille du mourir : je viens,

pousse rude au cœur.

je viens.

 

Mur de l'abrupt, miroir de la lune. En bas.

(Lueur tachée de souffle. Sang strié.

Âme nuageuse qui encore une fois est proche d'une figure.

Ombre des dix doigts-enserrés)

 

Yeux, aveugles au monde

yeux dans la faille du mourir,

Yeux, yeux ;

Le lit de neige sous nous deux, le lit de neige.

 

Cristal sur cristal,

au temps profond emprisonné, nous tombons,

nous tombons et gisons et tombons,

et tombons :

 

Nous fûmes, nous sommes.

Nous sommes une chair avec la nuit,

à la lisière, à la lisière.

 --------------------------------------------------

 

 

 

une fois

 

et là je l'ai entendu,

là il lavait le monde

hors des regards, toute la nuit durant

réellement.

un et sans fin

anéanti,

néantirent

lumière fut, délivrance

 

***

la table flotte la nuit dehors, la nuit dedans

et au-dessus de moi m'inondent les drapeaux du peuple

et à côté de moi les hommes rament pour amener les cercueils à terre

Et sous moi s'enciele, s'étoile comme chez moi à la Saint-Jean!

 

Et je te parcours du regard,

enflammée de soleil ;

pense à ce temps, où la nuit grimpait avec nous sur la montagne

pense à ce temps,

pense que je fus, ce que je suis :

un maître de cachots et de tours,

un souffle dans les ifs, un ivrogne dans la mer,

un mot où tu descends te brûler.

Toute la vie

 

les soleils des demi-sommeils sont bleus comme

tes cheveux une heure avant le jour.

Eux aussi poussent vite comme l'herbe sur la tombe d'un oiseau

Eux aussi sont attachés par le jeu, que nous jouiions comme un rêve sur les bateaux de la joie.

 

Aux falaises crayeuses du temps les poignards aussi les rencontrent.

les soleils des sommeils profonds sont plus bleus : comme ta boucle

ne le fut qu'une fois ;

je m'attardais comme un vent de nuit sur le sein à vendre de ta sœur

tes cheveux pendaient sur l'arbre d'en dessous, mais tu n'étais pas là.

 

Nous étions le monde, et toi tu étais un arbuste devant les portes.

Les soleils de la mort sont blancs comme les cheveux de notre enfant :

Il s'éleva des eaux montantes, quand tu dressas une tente sur la dune.

 

Il sortit le couteau du bonheur aux yeux éteints.

 

 

 

 

 

Toi aussi parle

 

Toi aussi parle

parle comme le dernier

dit ton message

 

Parle -

Mais ne sépare pas le oui du non

Donne aussi le sens à ton message :

donne lui l'ombre.

 

Donne-lui assez d'ombre,

donne-lui en tant,

que tu en sais autour de toi partagée

entre minuit et midi et minuit.

 

Regarde alentour,

vois, comment ce qui t'entoure devient vivant -

Par la mort ! Vivant !

Celui dit vrai, qui parle d'ombre.

Mais voici que s'étiole l'endroit ou tu es ;

 

Maintenant où aller, à découvert d'ombre, où aller ?

Monte. vers le haut en tâtonnant.

Plus grêle tu deviens, plus méconnaissable, plus fin !

Plus fin : un fil,

où l'étoile veut descendre :

pour nager en bas, tout en bas,

là où elle se voit luire : dans la houle

des mots errants.

 

 

 

 

Dans le rouge du tard

 

Dans le rouge du tard les noms dorment :

un

ta nuit en éveille

et le conduit, accompagné de blancs bâtons,

à tâtons vers le mur du sud de ton cœur,

sous les pins :

 

l'un, de taille d'homme,

franchit en marchant, la ville des potiers

là où la pluie entre en amie

d'une heure de la mer.

 

Dans le bleu

il prononce un mot d'arbre d'ombre promise,

et ton nom aimé

recompte et dépose ses syllabes.

 

 

 

Ce qui luit

 

Le corps silencieux

tu reposes près de moi dans le sable,

étoilée au-dessus de toi.

 

 

Est-ce un rayon

qui perça jusqu'à moi ?

Ou bien était-ce la sentence

que l'on rendit contre nous ?

Qui répand cette lumière ?

 

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Ce soir aussi

 

Pleinement,

la neige emplit cette mer

où le soleil flotte,

fleurit dans les paniers la glace

que tu portes vers la ville.

 

Sable,

tu exiges pour cela,

car la dernière rose intérieure

veut aussi ce soir être rassasiée

de l'heure qui s'écoule.

 

 

 

Avec une clé changeante

 

Avec une clé changeante

tu ouvres la maison, dans laquelle

tournoie la neige des choses tues

Et au gré du sang, qui sourd

des yeux ou de la bouche ou de l'oreille,

ta clé change.

 

Change ta clé, change le mot,

qui doit suivre le tournoiement des flocons.

Au gré du vent qui te pousse en avant,

s'enroule autour du mot la neige

 

 

 

Talus, remblais, lieux vides, gravats

 

Gain de lumière, mesurable, ressemblant

au chardon :

Un peu

de rouge, en discussion

avec un peu de jaune.

 

Le voile de l'air devant

ton œil désespéré.

Le dernier grain de sable

chevauchant.

(les

massifs de fleurs, autrefois,

les mots tout sourire du Marchfeld,

de l'herbe des steppes là-bas.

le manège mort, sonne.

Nous tournions encore et encore.)

 

La chevauchée du grain de sable, l'œil,

à elle habilement lié.

 

Les portes des heures et

leurs bruissements.

 

 

Le monde, avançant

vers nous dans l'heure vide :

 

Deux

troncs d'arbres, noirs,

sans branche, sans

nœud.

 

Et dans la traînée du réacteur, coupante,

une pale isolée.

 

Nous aussi, dans le vide,

nous nous tenons près des drapeaux.

 

 

 

 

Fleur

 

La pierre.

La pierre dans l'air, celle que je suivais.

Ton œil, aussi aveugle que la pierre.

 

Nous étions

des mains,

nous vidions les ténèbres, nous trouvions

le mot, qui remontait l'été :

Fleur.

 

Fleur - un mot d'aveugle

Ton œil et mon œil:

ils s'inquiètent de l'eau.

 

Veille silencieuse,

pan de cœur par pan de cœur

cela s'enfeuille.

 

Un mot encore, comme celui-là, et les marteaux

s'élancent dans l'espace libre.

 

 

Tant d'étoiles, que l'on nous tend.

J'étais,

quand je te vis - quand ? -

dehors parmi

les autres mondes.

 

O ces chemins, galactiques,

O cette heure, qui nous

compléta des nuits sur le fardeau de nos noms. Il n'est,

je le sais, pas vrai,

que nous ayons vécu, il passa aveugle un souffle entre

Là-bas et Pas-là et le Parfois,

un œil siffla comme une comète

allant vers l'éteint, dans les ravins,

là, où cela se consume sans éclat, se tenait

le temps, en majesté

et déjà vers le haut, vers le bas, poussait sur lui

ce qui fut ou ce qui sera -,

 

je sais,

je sais et tu sais, nous savions,

nous ne savions pas, mais

nous étions pourtant là et pas là-bas,

et de temps en temps, quand

seul le Rien se tenait entre nous,

alors nous étions totalement l'un et l'autre

 

 

En haut,

les voyageurs

demeurent

inaudibles

 

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éloge du loin

 

Dans la source de tes yeux

Vivent les filets des pêcheurs des mers devenues folles

Dans la source de tes yeux

la mer tient sa promesse

J'y précipite

cœur ayant vécu parmi les humains

les vêtements que j'ai porté

l'éclat d'un serment

Plus noir que dans le noir, je suis encore plus nu

Je suis toi, quand moi je suis moi

Dans la source de tes yeux

j'erre et je rêve de pillage

Dans la source de tes yeux

Un pendu étrangle la corde

 

Mandorle

 

Dans l'amande - qu'est ce qui se tient dans l'amande ?

Le Rien.

Il se tient le Rien dans l'amande.

Il se tient là et s'y tient.

Dans le Rien - qui se tient ? Le Roi.

 

Là se tient le Roi, le Roi.

Là il se tient, il se tient.

Boucle de juif, tu ne deviendras pas grise

 

Et ton œil - Vers où se tient ton œil ?

Ton œil se tient face à l'amande.

Ton œil, qui se tient face au Rien.

Il se tient auprès du Roi.

Ainsi il se tient, et se tient.

 

Boucle d'homme, tu ne deviendras pas grise

Amande vide, bleu du Roi.

 

 

Demeure double. Éternel tu es,

inhabitable. Pour cela

nous bâtissons, nous nous bâtissons.

pour cela il se dresse ce pitoyable lieu du lit,- sous la pluie

il se dresse.

 

Viens aimée,

que nous soyons couchés ici, c'est

le mur de séparation - Il

se suffit à lui-même, deux fois.

 

Laisse-le, il est tout à lui, en tant

que la moitié et encore une fois la moitié. Nous,

nous sommes le lit de la pluie, qu'il vienne et

et nous étende enfin à sécher.

........

Il ne vient pas, il ne nous étend pas à sécher.

 

 

LA NUIT, quand le pendule de l'amour balance

entre Toujours et Jamais,

ta parole vient rejoindre les lunes du cœur

et ton œil bleu

d'orage tend le ciel à la terre.

 

D'un bois lointain, d'un bosquet noirci de rêve

l'Expiré nous effleure

et le Manqué hante l'espace, grand comme les spectres

du futur.

 

Ce qui maintenant s'enfonce et soulève

vaut pour l'Enseveli au plus intime :

embrasse, aveugle, comme le regard

que nous échangeons, le temps sur la bouche.

 

Traducteur inconnu


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Tübingen, janvier 
 
Des yeux sous un flot de mots 
aveuglés.  
Leur – « énigme 
ce qui naît  
de source pure » –, leur 
souvenir 
de tours Hölderlin nageant, tournoyées 
de mouettes.  
 
visites de menuisiers noyés 
à ces 
mots qui plongent :  
 
S’il venait, 
venait un homme,  
venait un homme au monde, aujourd’hui, avec 
la barbe de clarté 
des patriarches : il devrait 
s’il parlait de ce 
temps, il 
devrait bégayer seulement, bégayer, 
toutoutoujours 
bégayer.  
 
(« Pallaksch. Pallaksch. »  
 
Paul Celan, La Rose de Personne, traduction de l’allemand et postface de Martine Broda, édition bilingue, collection Points/Poésie, 2007, p. 38 et 39. Cette traduction a été publiée précédemment par les Editions José Corti en 2002, p. 40 et 41 
  
Tübingen, nivôse 
 
Yeux, per- 
suadés d’être aveugles.  
Leur – « énigme 
ce qui naît 
d’un jaillissement pur »–, leur 
souvenir des 
tours nageantes de Hölderlin, bruissantes 
de mouettes 
 
Visites de menuisiers noyés 
à ces 
paroles plongeantes :  
 
Vienne, 
vienne un homme, 
vienne un homme, au monde, aujourd’hui 
portant la barbe de lumière 
des patriarches : il ne 
pourrait, parlât-il 
de ce temps, il  
ne pourrait 
que bégayer, bégayer, sans 
fin, sanfin.  
 
(« Pallaksch. Pallaksch. »  
 
Paul Celan, traduction de John E. Jackson, édition José Corti, 2004. Cité in La pensée musicale de György Kurtág (sous la direction de Pierre Maréchaux et Grégoire Tosser, Presses Universitaires de Rennes, 2009.  
 
 
Par ailleurs, Philippe Lacoue Labarthe dans son livre La poésie comme expérience, analyse ce poème et en donne trois traductions, celle de Martine Broda, celle d’André du Bouchet et la sienne.   
 
Tübingen, Janvier 
 
A cécité même 
mues, pupilles.  
Leur – « énigme cela, 
qui est pur 
jaillissement » –, leur 
mémoire de 
tours Hölderlin nageant, d’un battement de mouettes 
serties 
 
Visites de menuisiers engloutis par 
telles 
paroles plongeant :  
 
S’il venait 
venait un homme, 
homme venait au monde, aujourd’hui avec 
clarté et barbe des 
patriarches : il lui faudrait, 
dût-il parler de telle 
époque, il lui faudrait 
babiller uniquement, babiller 
toujours et toujours ba- 
biller  iller 
 
(« Pallaksch. Pallaksch. »  
 
(traduction d’André du Bouchet, in Philippe Lacoue-Labarthe, La poésie comme expérience, Christian Bourgois, 1986, 1997, p. 19) 
 
 
Tübingen, janvier 
 
sous un flot d’éloquence, 
aveuglés, les yeux.  
Leur – « une  
énigme est le 
pur jailli «  –, leur 
mémoire de 
tours Hölderlin nageant, tour- 
noyées de mouettes 
 
Visites de menuisiers submergés sous 
ces  
paroles plongeant :  
 
Viendrait,  
viendrait un homme 
viendrait un homme au monde, aujourd’hui, avec 
la barbe de lumière des 
Patriarches : il n’aurait, 
parlerait-il de ce  
temps, il 
n’aurait  
qu’à bégayer, bégayer 
sans cesse 
sans cesse.  
 
(« Pallaksch. Pallaksch. »  
 
(traduction de Philippe Lacoue-Labarthe, in Philippe Lacoue-Labarthe, La poésie comme expérience, Christian Bourgois, 1986, 1997, p. 28) 
 

PSAUME
Personne ne nous pétrira de nouveau dans la terre et l'argile,
personne ne soufflera la parole sur notre poussière.
personne.

Loué sois-tu, Personne.
C'est pour toi que nous voulons
fleurir
A ta
rencontre.

Un rien,
voilà ce que nous fûmes, sommes et
resterons, fleurissant :
la rose de Rien, la
rose de Personne

Avec
la clarté d'âme du pistil
l'âpreté céleste de l'étamine,
la couronne rouge
du mot pourpre que nous chantions,
au-dessus, ô, au-dessus
de l'épine.
Paul Celan, in Anthologie bilingue de la poésie allemande, bBbliothèque de la Pléiade 1993, page 1188.

"Parle –
Mais sans séparer le non du oui.
Donne aussi le sens à ta parole
donne-lui l'ombre

Donne-lui assez d'ombre,
donne-lui autant d'ombre
que tu en sais partagée autour de toi entre
minuit et midi et minuit. "

 

Paul Celan, en mémoire de la Shoah et d’Auschwitz.

GLOIRE DE CENDRES derrière
tes mains nouées-ébranlées
au trois-chemins.

Naguère Pontique : ici,
simple goutte,
sur
la pale d’aviron noyée,
tout au fond
du serment pétrifié,
on entend soudain sa rumeur.

(Sur la corde de souffle
verticale, autrefois,
plus haute qu’en haut,
entre deux nœuds de douleur, tandis
que la luisante
Lune des Tatares grimpait vers nous,
je me suis affouillé en toi et en toi.)

Gloire de
cendres
derrière vous mains
de trois-chemins.

Les dés jetés, de l’Est, avant et
devant vous, terribles.

Personne
ne témoigne pour le
témoin.

Paul Celan, Renverse du Souffle, in Paul Celan, Choix de poèmes réunis par l’auteur, traduction et présentation de Jean-Pierre Lefebvre, Poésie/Gallimard n° 326, Gallimard, 1998, p. 262 et 263.

Paul Celan, Renverse du Souffle, in Paul Celan, choix de poèmes réunis par l’auteur, traduction et présentation de Jean-Pierre Lefebvre, Poésie/Gallimard n° 326, Gallimard, 1998, p. 262

Anthologie permanente : Paul Celan

bruit la fontaine

vous couteaux aiguisés de prière,
de blasphème, de prière,
de mon
silence.

Vous mes paroles, qui vous estropiez
avec moi, vous
mes paroles droites.

Et toi :
toi, toi, toi,
de vérité chaque jour plus vraie
écorché, mon plus-tard
des roses – :

Combien, ô combien
du monde. De
chemins.

Aile, tu es béquille. Nous ––

Nous chanterons la chanson d’enfant, celle,
entends-tu, celle
avec les « hom », avec les « mes », avec les hommes, oui, celle
avec la broussaille, avec
la paire d’yeux, qui restait prête là-bas :
larme-et-
larme.

Paul Celan, La Rose de Personne, traduction de l’allemand et postface de Martine Broda, édition bilingue, Points Poésie, 2007, p. 58 et 59
extrait 1, extrait 2, extrait 3, extrait 4 (correspondance avec Nelly Sachs)

Avec toutes les pensées je suis sorti
hors du monde : tu étais là,
toi, ma silencieuse, mon ouverte, et —
tu nous reçus.

 

Qui
dit que tout est mort pour nous
quand notre œil s’éteignit ?
Tout s’éveilla, tout commença.

 

Grand, un soleil est venu à la nage, claires,
âme et âme lui ont fait face, nettes,
impératives, elles lui ont tu
son orbe.

 

Sans peine,
ton sein s’est ouvert, paisible,
un souffle est monté dans l’éther,
et ce qui s’est nué, n’était-ce pas,
n’était-ce pas forme, et sortie de nous,
n’était-ce pas
pour ainsi dire un nom ?

 

 

Paul Celan, La Rose de personne (Die Niemandsrose), édition bilingue, traduction de Martine Broda, Le Nouveau Commerce, 1979 (S. Fischer Verlag, 1963), p. 31 et 30.Et La Rose de personne, édition bilingue, traduction Martine Broda, José Corti, 2002, pp. 30,

Qu’est-il arrivé ? La pierre est sortie de la montagne.
Qui s’est éveillé ? Toi et moi.
Langue, langue. Étoile-sœur. Terre-voisine.
Plus pauvre. Ouverte. Natale.

 

Où ça allait ? Vers du sonne-encore.
Avec la pierre, avec nous deux.
Cœur et cœur. Trouvé trop lourd.
Devenir plus lourd. Être plus léger.

 

 

 

 

Celan

 

à ton ombre, à ton
ombre toute mal-sonnée aussi
j’ai donné sa chance,

 

elle, elle aussi
je l’ai lapidée à coups de moi-même,
moi le droit-ombré, le droit-
sonné –
étoile à six branches
à laquelle tu as
adonné ton silence.

 

aujourd’hui
adonne ce silence où tu veux,

 

catapultant du sous-sacralisé par l’époque,
depuis longtemps, moi aussi, dans la rue,
je sors, pour n’accueillir aucun cœur,
jusque chez moi dans le pierreux-
multiple.

 

 

Paul Celan, Partie de neige, édition bilingue ; traduit de l’allemand et annoté par Jean-Pierre Lefebvre, éditions du Seuil, 2007, p. 51.

 

20.1.1970

 

Depuis longtemps
ce qui est étranger nous tient dans ses filets,
l’éphémérité germe,
désemparée, à travers nous

 

prends mon pouls, lui aussi,
compte-le, en toi,

 

alors nous nous imposerons,
contre toi, contre moi

 

quelque chose nous habille
de peau de jour, de peau de nuit
pour le jeu avec le suprême sérieux.

 

Paul Celan, Ilana Shmueli, Correspondance (1965-1970), éditée par Ilana Shmueli et Thomas Sparr, traduction de l’allemand, révision et adaptation des notes de Bertrand Badiou, Le Seuil, 2006, p.113

 

Paul Celan dans Poezibao :

 

marée basse. Nous avons vu
les balanes, vu
les bernicles, vu
les ongles sur nos mains.
Personne n’a découpé le mot dans la paroi de notre cœur.

(Traces du crabe des plages, le lendemain,
sillons de rampants, galeries d’habitation, dessin
du vent dans la vase
grise. Sable fin,
sable gros,
détaché des parois, auprès
d’autres parties dures, dans les
débris.)

Un œil, aujourd’hui,
l’a donné à son frère, tous deux,
fermés, ont suivi le courant jusqu’à
leur ombre, déchargé
la cargaison (personne
n’a découpé le mot dans — —), fait ressortir
le harpon — une langue de terre, devant
un silence
minuscule et non navigable.

 

Paul Celan, Grille de parole [Sprachgitter, 1959], traduit de l’allemand par Martine Broda, édition bilingue, Christian Bourgois, 1991, repris Points/Seuil, 2008, p. 87 et 86.

 

 

 

give the word.

La cervelle entaillée — à moitié ? aux trois quarts ? —,
tu donnes, obscurci de nuit, les formules — celles-ci :

« Flèches des Tatares. »
                                       « Bouillie d’art. »
                                                                     « Souffle. »

Tous viennent, il ne manque ni les uns, ni les unes.
(Siphètes et Probylles sont là.)

Vient un homme.

Grosse comme la pomme terrestre la larme à côté de toi,
traversée de bruit, de
réponse,
                    réponse,
                                       réponse.
Gelée de part en part — par qui ?

« Passez », dis-tu,
                              « passez »,
                                                 « passez ».

La lèpre silencieuse se décolle de ton palais
éventail caressant ta langue de lumière,
                                                           de lumière.


Paul Celan, Renverse du souffle, édition bilingue ; traduit et annoté par Jean-Pierre Lefebvre, Seuil, 2003, p. 106-107.
On lira une autre version du poème de Celan, dans Paul Celan, Gisèle Celan-Lestrange, Correspondance, éditée et commentée par Bertrand Badiou avec le concours d'Éric Celan, Seuil, 2001, Tome I, p. 246-247, avec la traduction de B. Badiou, et Tome 2, p. 216-218 pour les notes.


*

 

give the word.

                              « Passé », dis-tu
                                                 « passé »
                                                           « passé »
                                                                     Paul Celan

Qu’est-ce que cela veut dire ?
Ils font tous semblant
lisant tes vers
de le savoir exactement
pourtant ils ne le savent pas
ou ne le savent qu’à moitié
et ne veulent pas en savoir plus
ne veulent plus en savoir plus – que quoi ?
Que signifie :
« Passé », dis-tu
« passé »,
                                                 « passé » ?

J’écoute et demande
à qui ?
À ma grand-mère
qui venait de ton pays
voici longtemps qu’elle n’est plus que cendres et fumée de camp
mais lorsqu’elle parlait encore elle disait souvent « passé »

Ce qui voulait dire « pulvérisé par une passoire »
Passé signifiait aussi « arrivé ou advenu »
Mais tout ce qui se passe (disait-elle)
passe du même coup
c’est-à-dire « ne fait que passer »

Ce qui advient passe
mais reste la poussière
qui passe à travers les filets de l’ennemi
Dis-moi poussière :
ai-je bien compris ?
et passé l’examen ?
« Passé », dis-tu
                              « passé »,
                                                 « passé ».

 
FENÊTRE DE HUTTE 
 
Sombre, l’œil : 
comme fenêtre de hutte. Il rassemble 
ce qui fut monde, reste monde : l’Est 
qui erre, ceux 
qui planent, les 
Hommes-et-les-Juifs, 
le peuple-des-nuées, magnétiquement, 
te hâle, terre, 
de ses doigts de coeur: 
tu viens, tu viens, 
demeure nous aurons; demeure, quelque chose 
 
_ un souffle ? un nom ? _ 
 
parcourt l’étendue orpheline, 
agile, massif, 
l’aile de 
l’ange, lourde d’invisible, au 
pied écorché, qu’amarre 
par le poids de sa tête 
la grêle noire qui 
tombait là-bas aussi, à Witebsk, 
 
_ et eux, qui la semaient, ils 
la rayent de 
leur griffe, mimétique, de poing blindé! _ 
 
quelque chose va, parcourt, 
quête, 
quête  vers le bas, 
quête vers le haut, au loin, quête  
de l’œil, arrache 
Alpha du Centaure, Arcturus, arrache 
de surcroît le rayon, hors des tombes,    
 
va vers Ghetto, vers Eden, recueille 
la constellation dont lui, 
l’homme, a besoin pour demeure, ici, 
parmi les hommes, 
 
mesure 
les lettres et l’âme mortelle _ 
immortelle de ces lettres, 
va vers Aleph et Jud et va plus loin,  
 
le bâtit, le bouclier de David, le fait 
s’embraser, une fois, 
 
le fait s’éteindre _ le voici qui se tient, 
invisible, qui se tient 
près d’Alpha et d’Aleph, près de Jud, 
près des autres, près de 
tous : en  
toi,  
 
Beth, _ c’est  
la maison où la table se tient avec  
la lumière et la lumière. 
 
 
Paul Celan, Poèmes, traduit de l’allemand et préfacé par John E. Jackson, édition bilingue, vignette de couverture de Miklos Bokor, 1987, nouvelle édition 1996, pp. 38-43  
 

 

 

                                                     Paul Celan

                                                                                           

 

 

 

                                                                                            

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commentaires

2
Furthermore, we have included papers on an increasingly important area in the study of American politics: identity politics.
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R
<br /> Merci de votre  réponse...  alors  voila,  c'est fait , j'ai commencé  ...  avec votre  adaptation de Paul Celan: "Cathédrales" ...  et donc renvoi sur<br /> votre site (pour les curieux  de belles lettres)<br /> <br /> <br />  <br /> <br /> <br /> Par ailleurs  j'aurai sans  doute  à vous demander des renseignement s  que  vous aurez peut-être  ( en tout cas plus que moi qui découvre ces textes,  sur la<br /> littérature  d'origine d'Afrique du Nord...par exemple  Adbelmadjid Kaouah,salah Al HAmdani, Ahmed Mehaoudi, qui sont porteurs  avec Rabah Belrami,  d'une parole intense et<br /> originale...<br /> <br /> <br />  <br /> <br /> <br />  <br /> <br /> <br /> <br />  <br /> <br /> <br />  <br /> <br /> <br /> amicalement<br /> <br /> <br />  <br /> <br /> <br /> RC<br /> <br /> <br />  <br /> <br /> <br /> <br />
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