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14 mai 2014 3 14 /05 /mai /2014 08:12

EXTRAIT /  HARMONIE TRIBALE

 

Vint l’été. La fin de l’été. Les grandes chaleurs. Si Mokhtar était encore en vie  il aurait tenu des propos au sujet du mois Ouessou et de l’astre Sirius se couchant et se levant avec le soleil du 22 juillet au 22 août et saisi les rapports entre cette canicule et l’événement malheureux d’il y a deux ans. Mais cela fait quatre ans déjà qu’il nous a quitté. Notre cousin Saci - apprenez à vos enfants la brasse, l’épreuve du lancer et le dressage des chevaux, disait-il avec le sourire - était l’un des meilleurs nageurs du comté.  Il aidait quelquefois la brigade des pompiers  à repêcher les noyés  dans la rivière. Il avait son fascicule de maître nageur  et passait un été sur trois sur le bord de la mer à surveiller les baignades pour arrondir le mois. Il ajoutait  que cela le reposait du collège  où il enseignait les mathématiques. Un matin il demanda à Moamar de l’accompagner à la plage. Je ne pouvais pas refuser. Quand elle te fait du pied c’est qu’elle te fait du pied, le bonhomme était en short,  deux serviettes, l’une bleue l’autre verte sur l’épaule, entrain de frapper à la porte cochère comme s’il voulait réveiller tout le quartier, le sac à la main, il y avait dedans  une pastèque une bouteille de bona, du pain et de la friture, son chapeau de paille sur la tête, non c’était impossible de refuser.  Je ne voulais pas l’offusquer en lui disant que je venais juste de rentrer de la polyclinique où je fus de garde toute la nuit.  Je pouvais pas dire non,  même si dans ma tête trottaient un tas de mots,  hé tu penses pas qu’on doit laisser ça pour un autre jour, Legraouch t’es fou,  avant même d’arriver  on va nous ramasser  pour aller éteindre les feux, regarde, regarde toutes les montagnes brûlent.  Nous avons pris le bus vers la ville.  De là  nous avons emprunté un taxi collectif.  C’était comme de la théorie, pas une embûche. Quand  elle fait appel elle fait appel. Le bus qui nous transporta était comme enchanteur. Il n’y avait pas d’autres passagers. A un certain moment  le receveur qui était vieux  dit, arrête-moi ce cinéma… depuis ce matin…  Et le chauffeur  coupa la magnétocassette.  Le cinéma était sûrement  cette chanson, De mort @ Tu mouras de mort @ Dans l’indulgence plénière de la poussière…  Le taxi était presque entrain de nous attendre. L’un même des quatre autres voyageurs  après avoir enfoui notre sac dans la malle arrière nous dit  avec le sourire, vous avez tardé. Comme si nous nous connaissions depuis belle lurette  et que nous savions pas respecter les rendez-vous.  Quand elle te fait du pied y a pas a dire tu es partant déjà.  À peine avons-nous fait deux  lieues, le dixième du trajet,  que voila-t-il les arbres qui se brûlaient les uns les autres de part et d’autre de la route. il y avait des craquements. La fumée nous obligeait  à avancer à faible allure.  Des flammes de feu traversaient au pas de promenade la route et s’attardaient à grignoter et à lécher parfois une partie du goudron. Du jamais vu. Après presque trois heures de route nous avons contourné  le mont  en flammes qui surplombait Elgraouch et longé le village qui avait cette allure d’avoir été en butte à une razzia.  Là-haut des avions balançaient  de l’eau et autre poudre  mais cela tombait très loin dans la mer.  Il y avait un monde fou sur la plage.  Nous nous sommes débrouillés un petit coin  entre une famille (elle venait sûrement de l’Atlas d’après le parler guttural) dont la ribambelle d’enfants  n’arrêtait pas de piailler,  de se bagarrer à coups de tête, de taloches et  d’injures, de se faire houspiller par une gaillarde de mère,  et d’autres estivants, un groupe dont la peau  noircie, les ustensiles , les matelas, les guitares  devant leur guitoune dressée en retrait, feraient croire qu’ils ramasseraient l’été indien à la cuiller.  Il était midi. Nous nous sommes assoupis un moment  pour nous retrouver  l’instant d’après sur nos jambes avec tous les baigneurs, debout,  le dos à la mer, dans une confusion de parlotes, de grands murmures de l’un à ton voisin,  comme si nous cherchions quelques faux-fuyants.  la gaillarde entourait de ses grands bras les cous de ses oisillons qui ne faisaient plus de bruit, les yeux baissés sur son frêle de mari qui était aux prises avec sa clope et ses allumettes mouillées.  Et nous regardions la montagne qui brûlait d’une seule flamme et d’immenses rideaux de flammèches qui nous cachaient presque le village et qui partaient en l’air.  Quand elle fait du pied y a pas à dire on est déjà parti. Commençaient alors  des bruits assourdissants de craquements d’arbres qui nous crevaient les tympans. Et la fumée qui devait avoir pris source depuis la route  qui nous amena,  mais elle n’était plus cette fumée bénigne de ce matin, qui jouait presque avec la voiture, montait , montait au dessus de la montagne et du village côtier.  En une seconde la moitié des baigneurs alla rejoindre les flots.  Cette fumée qui était dense et noirâtre continuait à monter.  Quand elle a embrassé et le village et la montagne  elle tomba à genoux  lentement sur la grève comme un chameau.  La mer devenait microbulleuse avec beaucoup de flocons de neige qui s’amassaient en congères tourbillonnant.   Augmentant  férocement de niveau elle lançait ses masses d’eau sur le sable.  Le soleil  s’est éclipsé.  Le noir de nuit était là.  Il y eut une débandade générale  et beaucoup de baigneurs se jetèrent dans les flots et moururent.  Ceux qui restèrent sur la grève  les jambes fouettées par les lames marines  et le reste du corps  immergé dans la fumée, écoutèrent les conseils d’une voix de femme. Elle devait être  médecin sûrement. Nous  mouillions les serviettes et les mettions autour de la tête puis les retrempions encore et encore aux vagues  et les plaquions sur nos visages.  Revint le soleil.  La fumée était très haut dans le ciel.  La mer redevenait si calme.  Pas un pli.  D’une couleur verdâtre  comme s’il pleuvait.  Sur la grève il y avait beaucoup de coquillages  et de crustacées.  Je levais les yeux. Un grand silence régnait.  La gaillarde était debout, un instant elle m’apparut sous les traits de tante Ouardia, les bras levés, la bouche largement ouverte,  la peau induite de suie, les yeux  lavés dans le cresson bleu,  grandement ouverts sur la mer ; son frêle de mari,  assis à la turque à ses pieds  était aux prises avec ses allumettes mouillées.

 

 

 

 

 

 

 

 

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