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11 février 2012 6 11 /02 /février /2012 09:04

    ARAGONElsa au miroir

Louis ARAGON

Recueil : "La Diane française"

C’était au beau milieu de notre tragédie
Et pendant un long jour assise à son miroir
Elle peignait ses cheveux d’or Je croyais voir
Ses patientes mains calmer un incendie
C’était au beau milieu de notre tragédie

Et pendant un long jour assise à son miroir
Elle peignait ses cheveux d’or et j’aurais dit
C’était au beau milieu de notre tragédie
Qu’elle jouait un air de harpe sans y croire
Pendant tout ce long jour assise à son miroir

Elle peignait ses cheveux d’or et j’aurais dit
Qu’elle martyrisait à plaisir sa mémoire
Pendant tout ce long jour assise à son miroir
À ranimer les fleurs sans fin de l’incendie
Sans dire ce qu’une autre à sa place aurait dit

Elle martyrisait à plaisir sa mémoire
C’était au beau milieu de notre tragédie
Le monde ressemblait à ce miroir maudit
Le peigne partageait les feux de cette moire
Et ces feux éclairaient des coins de ma mémoire

C’était un beau milieu de notre tragédie
Comme dans la semaine est assis le jeudi

Et pendant un long jour assise à sa mémoire
Elle voyait au loin mourir dans son miroir

Un à un les acteurs de notre tragédie
Et qui sont les meilleurs de ce monde maudit

Et vous savez leurs noms sans que je les aie dits
Et ce que signifient les flammes des longs soirs

Et ses cheveux dorés quand elle vient s’asseoir
Et peigner sans rien dire un reflet d’incendie

Un jour un jour

Louis ARAGON

Recueil : "Le Fou d'Elsa"

Tout ce que l’homme fut de grand et de sublime
Sa protestation ses chants et ses héros
Au dessus de ce corps et contre ses bourreaux
A Grenade aujourd’hui surgit devant le crime

Et cette bouche absente et Lorca qui s’est tu
Emplissant tout à coup l’univers de silence
Contre les violents tourne la violence
Dieu le fracas que fait un poète qu’on tue

Un jour pourtant un jour viendra couleur d’orange
Un jour de palme un jour de feuillages au front
Un jour d’épaule nue où les gens s’aimeront
Un jour comme un oiseau sur la plus haute branche

Ah je désespérais de mes frères sauvages
Je voyais je voyais l’avenir à genoux
La Bête triomphante et la pierre sur nous
Et le feu des soldats porté sur nos rivages

Quoi toujours ce serait par atroce marché
Un partage incessant que se font de la terre
Entre eux ces assassins que craignent les panthères
Et dont tremble un poignard quand leur main l’a touché

Un jour pourtant un jour viendra couleur d’orange
Un jour de palme un jour de feuillages au front
Un jour d’épaule nue où les gens s’aimeront
Un jour comme un oiseau sur la plus haute branche

Quoi toujours ce serait la guerre la querelle
Des manières de rois et des fronts prosternés
Et l’enfant de la femme inutilement né
Les blés déchiquetés toujours des sauterelles

Quoi les bagnes toujours et la chair sous la roue
Le massacre toujours justifié d’idoles
Aux cadavres jeté ce manteau de paroles
Le bâillon pour la bouche et pour la main le clou

Un jour pourtant un jour viendra couleur d’orange
Un jour de palme un jour de feuillages au front
Un jour d’épaule nue où les gens s’aimeront
Un jour comme un oiseau sur la plus haute branche

Que serais-je sans toi ?

Louis ARAGON

Recueil : "Le Roman inachevé"

Que serais-je sans toi qui vins à ma rencontre
Que serais-je sans toi qu’un coeur au bois dormant
Que cette heure arrêtée au cadran de la montre
Que serais-je sans toi que ce balbutiement.

J’ai tout appris de toi pour ce qui me concerne
Qu’il fait jour à midi, qu’un ciel peut être bleu
Que le bonheur n’est pas un quinquet de taverne
Tu m’as pris par la main dans cet enfer moderne
Où l’homme ne sait plus ce que c’est qu’être deux
Tu m’as pris par la main comme un amant heureux.

Que serais-je sans toi qui vins à ma rencontre
Que serais-je sans toi qu’un coeur au bois dormant
Que cette heure arrêtée au cadran de la montre
Que serais-je sans toi que ce balbutiement.

Qui parle de bonheur a souvent les yeux tristes
N’est-ce pas un sanglot que la déconvenue
Une corde brisée aux doigts du guitariste
Et pourtant je vous dis que le bonheur existe
Ailleurs que dans le rêve, ailleurs que dans les nues.
Terre, terre, voici ses rades inconnues.

Que serais-je sans toi qui vins à ma rencontre
Que serais-je sans toi qu’un coeur au bois dormant
Que cette heure arrêtée au cadran de la montre
Que serais-je sans toi que ce balbutiement

J’arrive où je suis étranger

Louis ARAGON

Recueil : "Le Voyage de Hollande et autres poèmes"

Rien comme être n’est passager
C’est un peu fondre comme le givre
Et pour le vent être léger
J’arrive où je suis étranger
Un jour tu passes la frontière
D’où viens-tu mais où vas-tu donc
Demain qu’importe et qu’importe hier
Le coeur change avec le chardon
Tout est sans rime ni pardon
Passe ton doigt là sur ta tempe
Touche l’enfance de tes yeux
Mieux vaut laisser basses les lampes
La nuit plus longtemps nous va mieux
C’est le grand jour qui se fait vieux
Les arbres sont beaux en automne
Mais l’enfant qu’est-il devenu
Je me regarde et je m’étonne
De ce voyageur inconnu
De son visage et ses pieds nus
Peu a peu tu te fais silence
Mais pas assez vite pourtant
Pour ne sentir ta dissemblance
Et sur le toi-même d’antan
Tomber la poussière du temps
C’est long vieillir au bout du compte
Le sable en fuit entre nos doigts
C’est comme une eau froide qui monte
C’est comme une honte qui croît
Un cuir à crier qu’on corroie
C’est long d’être un homme une chose
C’est long de renoncer à tout
Et sens-tu les métamorphoses
Qui se font au-dedans de nous
Lentement plier nos genoux
O mer amère ô mer profonde
Quelle est l’heure de tes marées
Combien faut-il d’années-secondes
A l’homme pour l’homme abjurer
Pourquoi pourquoi ces simagrées
Rien n’est précaire comme vivre
Rien comme être n’est passager
C’est un peu fondre comme le givre
Et pour le vent être léger
J’arrive où je suis étranger

Aimer à perdre la raison

Louis ARAGON

Recueil : "Le Fou d'Elsa"

Aimer à perdre la raison
Aimer à n’en savoir que dire
A n’avoir que toi d’horizon
Et ne connaître de saisons
Que par la douleur du partir
Aimer a perdre la raison

Ah c’est toujours toi que l’on blesse
C est toujours ton miroir brisé
Mon pauvre bonheur, ma faiblesse
Toi qu’on insulte et qu’on délaisse
Dans toute chair martyrisée

Aimer à perdre la raison
Aimer a n’en savoir que dire
A n’avoir que toi d’horizon
Et ne connaître de saisons
Que par la douleur du partir
Aimer a perdre la raison

La faim, la fatigue et le froid
Toutes les misères du monde
C est par mon amour que j’y crois
En elle je porte ma croix
Et de leurs nuits ma nuit se fonde

Aimer a perdre la raison
Aimer a n’en savoir que dire
A n’avoir que toi d’horizon
Et ne connaître de saisons
Que par la douleur du partir
Aimer a perdre la raison

L’affiche rouge

Louis ARAGON

Recueil : "Le Roman inachevé"

Vous n’avez réclamé ni gloire ni les larmes
Ni l’orgue ni la prière aux agonisants
Onze ans déjà que cela passe vite onze ans
Vous vous étiez servis simplement de vos armes
La mort n’éblouit pas les yeux des Partisans

Vous aviez vos portraits sur les murs de nos villes
Noirs de barbe et de nuit hirsutes menaçants
L’affiche qui semblait une tache de sang
Parce qu’à prononcer vos noms sont difficiles
Y cherchait un effet de peur sur les passants

Nul ne semblait vous voir Français de préférence
Les gens allaient sans yeux pour vous le jour durant
Mais à l’heure du couvre-feu des doigts errants
Avaient écrit sous vos photos MORTS POUR LA FRANCE

Et les mornes matins en étaient différents
Tout avait la couleur uniforme du givre
A la fin février pour vos derniers moments
Et c’est alors que l’un de vous dit calmement
Bonheur à tous Bonheur à ceux qui vont survivre
Je meurs sans haine en moi pour le peuple allemand

Adieu la peine et le plaisir Adieu les roses
Adieu la vie adieu la lumière et le vent
Marie-toi sois heureuse et pense à moi souvent
Toi qui vas demeurer dans la beauté des choses
Quand tout sera fini plus tard en Erivan

Un grand soleil d’hiver éclaire la colline
Que la nature est belle et que le coeur me fend
La justice viendra sur nos pas triomphants
Ma Mélinée ô mon amour mon orpheline
Et je te dis de vivre et d’avoir un enfant

Ils étaient vingt et trois quand les fusils fleurirent
Vingt et trois qui donnaient le coeur avant le temps
Vingt et trois étrangers et nos frères pourtant
Vingt et trois amoureux de vivre à en mourir
Vingt et trois qui criaient la France en s’abattant

Les mots m’ont pris par la main

Louis ARAGON

Recueil : "Le Roman inachevé"

Je demeurai longtemps derrière un Vittel-menthe
L’histoire quelque part poursuivait sa tourmente
Ceux qui n’ont pas d’amour habitent les cafés
La boule de nickel est leur conte de fées
Si pauvre que l’on soit il y fait bon l’hiver
On y traîne sans fin par la vertu d’un verre
Moi j’aimais au Rocher boulevard Saint-Germain
Trouver le noir et or usagé des sous-mains
Garçon de quoi écrire Et sur la molesquine
J’oubliais l’hôpital les démarches mesquines
A raturer des vers sur papier quadrillé
Tant que le réverbère au-dehors vînt briller
Jaune et lilas de pluie au cœur du macadam
J’épongeais à mon tour sur le buvard-réclame
Mon rêve où l’encre des passants abandonna
Les secrets de leur âme entre deux quinquinas
J’aimais à Saint-Michel le Cluny pour l’équerre
Qu’il offre ombre et rayons à nos matins précaires
Sur le coin de la rue Bonaparte et du quai
J’aimais ce haut Tabac où le soleil manquait
Il y eut la saison de la Rotonde et celle
D’un quelconque bistrot du côté de Courcelles
Il y eut ce café du passage Jouffroy
L’Excelsior Porte-Maillot Ce bar étroit
Rue du Faubourg-Saint-Honoré mais bien plus tard
J’entends siffler le percolateur dans un Biard
C’est un lieu trop bruyant et nous nous en allons
Place du Théâtre-Français dans ce salon
Au fond d’un lac d’où l’on
Voit passer par les glaces
Entre les poissons-chats les voitures de place
Or d’autres profondeurs étaient notre souci
Nous étions trois ou quatre au bout du jour
Assis
A marier les sons pour rebâtir les choses
Sans cesse procédant à des métamorphoses
Et nous faisions surgir d’étranges animaux
Car l’un de nous avait inventé pour les mots
Le piège à loup de la vitesse
Garçon de quoi écrire Et naissaient à nos pas
L’antilope-plaisir les mouettes compas
Les tamanoirs de la tristesse
Images à l’envers comme on peint les plafonds
Hybrides du sommeil inconnus à Buffon
Êtres de déraison Chimères
Vaste alphabet d’oiseaux tracé sur l’horizon
De coraux sur le fond des mers
Hiéroglyphes aux murs cyniques des prisons
N’attendez pas de moi que je les énumère
Chasse à courre aux taillis épais Ténèbre-mère
Cargaison de rébus devant les victimaires
Louves de la rosée Élans des lunaisons
Floraisons à rebours où Mesmer mime Homère
Sur le marbre où les mots entre nos mains s’aimèrent
Voici le gibier mort voici la cargaison
Voici le bestiaire et voici le blason
Au soir on compte les têtes de venaison
Nous nous grisons d’alcools amers
O saisons
Du langage ô conjugaison
Des éphémères
Nous traversons la toile et le toit des maisons
Serait-ce la fin de ce vieux monde brumaire
Les prodiges sont là qui frappent la cloison
Et déjà nos cahiers s’en firent le sommaire
Couverture illustrée où l’on voit Barbizon
La mort du Grand Ferré Jason et
la Toison
Déjà le papier manque au temps mort du délire

Garçon de quoi écrire

Les oiseaux déguisés

Louis ARAGON

Recueil : "Les Adieux et autres poèmes"

Tous ceux qui parlent des merveilles
Leurs fables cachent des sanglots
Et les couleurs de leur oreille
Toujours à des plaintes pareilles
Donnent leurs larmes pour de l’eau

Le peintre assis devant sa toile
A-t-il jamais peint ce qu’il voit
Ce qu’il voit son histoire voile
Et ses ténèbres sont étoiles
Comme chanter change la voix

Ses secrets partout qu’il expose
Ce sont des oiseaux déguisés
Son regard embellit les choses
Et les gens prennent pour des roses
La douleur dont il est brisé

Ma vie au loin mon étrangère
Ce que je fus je l’ai quitté
Et les teintes d’aimer changèrent
Comme roussit dans les fougères
Le songe d’une nuit d’été

Automne automne long automne
Comme le cri du vitrier
De rue en rue et je chantonne
Un air dont lentement s’étonne
Celui qui ne sait plus prier

C

Louis ARAGON

Recueil : "Les Yeux d'Elsa"

J’ai traversé les ponts de Cé
C’est là que tout a commencé

Une chanson des temps passés
Parle d’un chevalier blessé

D’une rose sur la chaussée
Et d’un corsage délacé

Du château d’un duc insensé
Et des cygnes dans les fossés

De la prairie où vient danser
Une éternelle fiancée

Et j’ai bu comme un lait glacé
Le long lai des gloires faussées

La Loire emporte mes pensées
Avec les voitures versées

Et les armes désamorcées
Et les larmes mal effacées

O ma France ô ma délaissée
J’ai traversé les ponts de Cé

Les Yeux d’Elsa, 1942
Seghers

Il n’y a pas d’amour heureux

Louis ARAGON

Recueil : "La Diane française"

Rien n’est jamais acquis à l’homme Ni sa force
Ni sa faiblesse ni son coeur Et quand il croit
Ouvrir ses bras son ombre est celle d’une croix
Et quand il croit serrer son bonheur il le broie
Sa vie est un étrange et douloureux divorce
Il n’y a pas d’amour heureux

Sa vie Elle ressemble à ces soldats sans armes
Qu’on avait habillés pour un autre destin
A quoi peut leur servir de se lever matin
Eux qu’on retrouve au soir désoeuvrés incertains
Dites ces mots Ma vie Et retenez vos larmes
Il n’y a pas d’amour heureux

Mon bel amour mon cher amour ma déchirure
Je te porte dans moi comme un oiseau blessé
Et ceux-là sans savoir nous regardent passer
Répétant après moi les mots que j’ai tressés
Et qui pour tes grands yeux tout aussitôt moururent
Il n’y a pas d’amour heureux

Le temps d’apprendre à vivre il est déjà trop tard
Que pleurent dans la nuit nos coeurs à l’unisson
Ce qu’il faut de malheur pour la moindre chanson
Ce qu’il faut de regrets pour payer un frisson
Ce qu’il faut de sanglots pour un air de guitare
Il n’y a pas d’amour heureux

Il n’y a pas d’amour qui ne soit à douleur
Il n’y a pas d’amour dont on ne soit meurtri
Il n’y a pas d’amour dont on ne soit flétri
Et pas plus que de toi l’amour de la patrie
Il n’y a pas d’amour qui ne vive de pleurs
Il n’y a pas d’amour heureux
Mais c’est notre amour à tous les deux

Seghers, 1946

 

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<br /> (fermaton.over-blog.com),No-18, THÉORÈME NELLIGAN. -    Les yeux d'Elsa.<br />
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<br /> (fermaton.over-blog.com),No-18, THÉORÈME NELLIGAN. -    Les yeux d'Elsa.<br />
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