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30 avril 2012 1 30 /04 /avril /2012 12:29

Amadou Lamine SALL 

Amadou Lamine  SALL 

AMANTES D AURORE

 

SENEGAL 

 

 

Je t'ai cherchée partout et nulle part
entre la fleur et la tige
entre le jour et la nuit
parmi les rires du sommeil
parmi les caresses de l'absence
Où es-tu fille de la nuit
déjà le poème s'essouffle et les mots s'esquivent
la plume danse des arabesques saoule de son vin noir
les voyelles sont distraites
et les consonnes rétives errent en procession
sur le vide de la page qui bâille
Tu seras seule à comprendre ce soir pourquoi
j'écris ce poème de sexe et d'olive de sang et d'amour
Je voudrais te parler dans le ventre de la nuit
à l'heure où des miettes d'étoiles dansent sur ta bouche
de miel et de fièvre
Où es-tu fille de la nuit
je sais que tu reviendras
parce que je suis le fauve de ta tanière
le reptile qui te serpente et qui te ramène à la lumière
du jour
Déjà je mords tes paumes
et chante dans la fraîcheur de tes cheveux
et je n'ai plus d'oreille que pour l'évangile de ton chant
quand l'harmattan du désir
flagelle nos corps
Tout à l'heure quand je te retrouverai
tu me diras l'heure
et plus tard tu me rediras l'heure
nous irons acheter des journaux de droite et de gauche
gauche-droite droite-gauche
Je les lirai de l'est à l'ouest
tu les commenteras du nord au sud
puis nous les disperserons à tous les vents
aux quatre coins de l'analphabétisme et de la faim
Nous irons ensuite écouter les politiciens
il y en a de toutes les tailles et de toutes les couleurs
des menteurs sérieux graves
des prophètes à la bonne heure
Car il paraît que le COMMUNISME est à bannir pour
la paix du monde
le CAPITALISME à combattre pour la paix
du monde
le SOCIALISME à redéfinir pour la paix du monde
et que pas une nation n'a pris pour idéologie l'AMOUR
Nous irons vivre ailleurs
car Dieu doit habiter ailleurs
Nous ferons des enfants de toutes les races
je t'aiderai à bercer les uns à faire manger les autres
Je sais qu'ils seront beaux nos enfants
et qu'ils n'entrerons pas dans la vie par la grande porte de
l'argent et de l'insolence
ni par celle de la vanité et de la lâcheté
Ils ne seront ni les aînés de la bassesse
ni les benjamins de l'assassinat
J'irai avec toi par toutes les routes offertes aux pas
semer à la berge des souffrances les premiers plants
de la LIBERTE
Nous bâtirons des cités sans maisons et sans rues
sans prisons et sans haine
Manthie j'aurais tant aimé te mentir
te dire qu'aucun petit garçon n'a faim quelque part
sur la Terre
te mentir te dire
que les cimetières ont fermé leurs portes
te mentir te mentir Manthie te mentir
te mentir
pour que tu ne connaisses jamais la haine
pour que tu ne reconnaisses jamais le délire des fauves
pour que tu ne côtoies jamais l'orgueil et la folie sortie de
leurs grottes glacées
Te mentir Manthie
pour t'aimer d'innocence
Merci à toi Binta de Awa l'aurore
ma mère belle comme jamais sept lunes sur une
savane d'argent
Locataire du néant
fou d'une liberté sans terre
le monde est infidèle à mes rêves
Et les femmes sont amputées du rêve d'aimer
les hommes du rêve de vieillir
Les oiseaux du cœur ont donc migré la pleine lune
et je flirte avec des cœurs dégarnis
seul parmi la roche effeuillée
la fête des péchés
parmi l'arachide rebelle
parmi le mil rebelle
le coton rebelle
le germe rebelle
Seul avec l'hirondelle offensée
seul parmi l'enfance délaissée
le désir mutilé
parmi l'étoile faussée
l'émeraude brisée
les cauris effrayés
les cercueils cloutés
les fenêtres fermées les portes fermées
Je veille ces pays mon pays
ce pays fou de ses fils
fou de sa liberté
infidèle à ses rêves
Mon pays n'est pas né d'une femme…
et pourtant dans mon pays vois-tu
le soleil est une femme le jour est une femme
la joie est une femme le rêve est une femme
le pardon est une femme le chant est une femme
et je suis né du chant des femmes
Viens
partageons l'étoile tombée cette nuit
derrière le sommeil des Prophètes
J'aime regarder
le Sénégal s'endormir le soir sur tes paupières
et se réveiller le matin dans tes yeux
Tu seras l'Unique Miracle des goélands
la GRANDE TERRE
celle pour qui je veux encore
vivre et accepter D'AIMER

 

 

 

 VEINES SAUVAGES

Tu arrivais du nord

là où le soleil épuise ses

larmes derrière les barreaux du ciel

sur le dos des éclairs je sais là

où tu es descendue chanter

nouant tes cheveux aux épis de  mil

et tu m'attends du coté le

plus divin de ton corps

là où les dieux ont fait

pousser la fraise dans la mangue

Tu es de ce pays

où les hirondelles ont bu tous les soleils

et le ciel toujours cambré de sommeil

Le vent lève ton nom… Boléro

et ta bouche et tes lèvres infaillibles

ont l'arome langoureux des

chemins de miel que j'aime

Je t'aime comme une guérison

j'aime ta gorge apaisante

la saison de ta bouche quand tu ris

j'aime la maison de tes yeux

tu réchauffes mieux que le ventre

de l'ours à midi

Tu es si belle que tu désamorces

la course des météores…

Tu es mon nouveau livre Boléro

les premiers hiéroglyphes d'un nouveau millénaire

Pourquoi veux-tu briser

l'élan des montagnes ?

Pourquoi veux-tu faire taire l'oiseau du désir ?

Depuis bien longtemps

et pour longtemps encore

parce que tu es là

il ne fait plus nuit dans mon cœur

et j'ai fini par réinventer toutes les leurs

et tu as fini par être plus vraie que le conte

tu ne vieilliras pas

jamais tu ne vieilliras en moi

jamais je ne vieillirais en toi

nous aurons la meme route

et elle sera la route de la terre

elle sera le chemin visible aux questions de l'homme

elle sera la réponse à la tristesse des enfants

il n'y aura plus de secret pour aimer

pour chanter pour danser

parce que l'amour nous habite

parce que les mots nous ont livré leur age

parce que la parole a aboli tous les silences

Et pourtant Boléro et pourtant

les Princes de ce pays ont tout dévoré

ils ont tout volé et tout mangé

ils ont mangé la racine et

jusqu'aux pierres qui bordaient la racine

et dans leur hâte ont tout mangé cru

jusqu'au dernier alphabet de ce pays

et voici que ce pays n'existe plus que

dans la mémoire et le sourire fêlé des paysans

Je sais et tu sais Boléro

combien ces Princes ont asséché toutes les saisons de nos espoirs

ils ont tout supplicié

les totems, les soleils, les cours d'eau, les champs d'arachide

les femmes et les vieillards

et les adolescents sont des montres sans remontoirs

des cartes postales d'un pays sans Coran et sans Bible

Mais avec toi Boléro toi l'Aimée le sang de ce chant

avec toi et cet amour que tu portes et

que je porte plus terrible encore

nous vaincrons la mauvaise terre

pour que pas un bras ne manque à l'AMOUR.

Extraits « Les Veines Sauvages »

Les éditions du Carbet,

 

Pour chanter les les tirailleurs noirs

POUR CHANTER LES TIRAILLEURS NOIRS


Par | | vendredi 23 mai 2008 |

C'est aujourd'hui, vendredi 23 Mai, que l'on célèbre la journée du tirailleur noir. À cette occasion, Amadou Lamine Sall rend un hommage poétique à ceux-là qui ont payé un lourd tribut pour le triomphe des idéaux humanistes.


Vous avanciez les pas dans les pas des ancêtres qui n'avaient jamais eu peur
vous avanciez tenant ferme dans la main la mémoire d'un continent solidaire
vous avanciez le devoir plein le cœur
le courage vaste comme la savane
vous avanciez la dignité protégée comme le dernier grain
vous avanciez le front haut la tête droite la gorge sans tremblement
la voix claire comme le ciel après l'orage
le poignet leste la main adroite l'index apprivoisant la gâchette
le poing sûr dans la force des muscles
vous avanciez venus du Sud par une longue mer un océan sans fin
vous avanciez partis d'Afrique vers la France en larmes
la France vaincue par les armes mais debout par le cœur
vous avanciez pour relever la France qu'on courbait mais rebelle
la tenir debout face à la force de l'occupant
la haine de l'occupant la folie de l'occupant
vous dont la France avait occupé les terres jusqu'aux lits de vos sœurs…
vous avanciez pour inventer une nouvelle fraternité
combattre la vermine qui recouvrait de son manteau de sang l'Europe
vous avanciez tirailleurs noirs soldats invincibles au courage imparable
vous avanciez indomptables au combat
ne cédant ni un pouce de campagne ni un pouce de plage
vous avanciez plus téméraires que mille lions affamés
terrifiant dans le jour terrifiant dans la nuit
vous avanciez portant la France au fronton des héros
vous avanciez dans la boue vous avanciez dans les épines
vous avanciez dans la soif un brin de pain taché de sang dans la bouche
vous avanciez courant contre le vent et insoumis sous la grêle
la neige et le froid dans le corps mais le soleil et la rage dans le fusil
vous avanciez sur l'ennemi fourmis et éléphants noirs éclatant tous les barrages
vos assauts étaient pareils aux typhons
vos cris de guerre crevaient les tympans des ennemis
vous avanciez telle une émeute de panthères la baïonnette imparable
ceux qui tombaient se relevaient cent fois pour cent ennemis décapités
vous avanciez enjambant des camarades percés comme des tamis
et ceux qui finissaient par tomber ne poussaient aucun cri
vous avanciez ils reculaient
et quand enfin vous mettiez un genoux à terre la tempe éclatée
votre cri à la mort était si fort que l'ennemi en abandonnait ses canons
Voilà que le malheur de la France était votre malheur
la peur de la France votre peur les larmes de la France vos larmes
le deuil de la France votre deuil
voilà que les tombes des frères d'armes de la France étaient vos tombes
les orphelins de la France vos orphelins
voilà que le drapeau de la France tenait debout sur vos épaules
vos épaules déchiquetées mais le drapeau debout
debout dans la nuit du sang debout dans le jour de gloire
debout dans vos mains sans doigts
drapeau debout entre vos dents quand vous n'aviez plus de bras
debout dans vos intestins quand vous aviez vidé jusqu'à vos dernières veines
le drapeau de la France debout dans vos cœurs même quand ils ne battaient plus
et dire que ce drapeau a osé compter ses euros pour ses libérateurs….
ce drapeau bleu blanc rouge et qui n'a été rouge que pour vous
rouge comme le retour à la maison avec rien que des
médailles à mettre dans la marmite rouge d'injustice rouge d'iniquité
Gloire à vous tirailleurs noirs beaux comme le soleil après la pluie
gloire à vous qui avez étendu sur l'Europe le chant des fraternités d'armes
depuis les plages glorieuses de Normandie les champs d'Indochine de Verdun
à vous tirailleurs qui vous vouliez de toutes les couleurs
et à qui on a voulu conférer que la couleur de la nuit
votre sang versé fut telle une mer où pouvait naviguer leurs pétroliers
la beauté chaude de vos visages levait le brouillard
vos sourires des lampes qui éclairaient les sombres tranchées
et le pays noir qui vous habitait vous faisait prendre les bataillons ennemis comme
des troupeaux d'oiseaux et à qui un oiseau peut-il faire peur ?
Vous avez relevé le visage blanc de votre Blanc frère d'arme
posé votre fusil sur l'herbe humide comme vos yeux en larmes
déchiré vos manches pour des bandages
ôté votre ceinturon pour un garrot
vous teniez sa tête d'or rouge contre votre poitrine
la tête blonde de sang de votre camarade blessé
vous vous êtes assis dans l'eau puante
vos genoux des coussins de soie pour sa tête en flamme
les balles vous empruntaient des morceaux de chair vive sans un cri
vous teniez entre vos mains noires le visage blanc de votre frère d'arme
vos yeux ne quittaient pas ses yeux clos comme pour lui passer la lumière
vous lui parliez pour que le sommeil de la mort ne le recouvre
voix douce dans le tam-tam des canons où personne ne danse
assis vous teniez entre vos mains le visage blanc et blême de votre frère d'arme
il vous fallait le relever le faire vivre jusqu'à la prochaine colonne de feu
il vous fallait le porter jusqu'à l'aube entre mines et barbelés
et la route était longue et sinueuse l'ennemi éveillé et adroit
le ciel froid la terre gelée gorgée de glace
l'horizon illisible le vent mauvais
le corps comme un camion en panne à pousser dans la boue
mourir mais mourir à deux mourir ensemble fraternels
mourir la main dans la main le sang dans le sang
car il est bleu blanc rouge le sang du tirailleur noir comme
le sang du frère d'arme au visage blanc comme l'alcool de riz
c'est l'Afrique dans le lit de l'Europe
l'Europe dans la case de l'Afrique
continents aux mêmes paupières ceints par le même bandeau
rassemblés dans la même nuit de la mort
nourris de la même greffe peau contre peau
veines contre veines peur contre peur
espérance contre espérance et dans les yeux le même lever de soleil….
Au-delà du temps et des blessures
les années sont passées depuis sans rien effacer du miroir de la mémoire les âges ont recouvert l'éclat des yeux et gelé la sève des jambes sans
rien éteindre de la flamme des amitiés brûlantes comme
le silex du premier jour de combat
les souvenirs sont flambant neufs
les joies partagées encore en fleurs jamais fanées
les morsures de jadis couchées dans les mêmes corps
déclinées à la même douleur conjuguées au même temps des lames
vos lettres leurs lettres sont arrivées en piano kora violon et khalam
vos encres étaient de la sève des pommiers des baobabs et des palmiers dattiers c'est le temps de vous saluer ô tirailleurs noirs
vous dont nous nous nourrissons des fastes récoltes et pas un fruit ne manque… Mais quelle langue pourra donc vous chanter ?
Quelle poitrine pourra donc contenir votre mélodie ?
Quel diamant pourra donc rendre l'éclat de vos sacrifices ?
Ô tirailleurs noirs nos remparts à toute soumission
nous vous avons loué seul
et le bois est resté sec
nous vous avons glorifié seul sous tous les temples
et le bois est resté sec
nous avons offert vos noms seuls à l'histoire
et le bois est resté sec
nous avons peint Demba aux couleurs du soleil et déboulonné Dupond et le bois est resté sec
ô tirailleur noir c'est quand on nomma ton camarade Blanc
et le nom de la France glorifié à côté de ton nom
que le bois sec s'est couvrit de fougères et s'est mis à fleurir…
Laissez vos enfants noirs et blancs vous chanter vous danser ensemble pour que jamais plus la nuit ne tombe sur vos pages de sang bleu…
À la fin du jour à la fin des chemins rocailleux
aux confins des amertumes et des deuils inscrits dans la chair
par-dessus la reconnaissance jetée par bâbord
par-dessus la France oublieuse mais fraternelle
sous l'accolade indélébile du camarade de La Charité sur Loire
à la poignée de main vibrante du frère de Marseille
vous avez tissé de vos mains noires du ciel à la terre
une fraternité humaine qui jamais ne s'éteindra
Gloire à vous tirailleurs noirs
gloire à vous les étoiles du jour
sur qui aucun soleil ne se couche


                                                                                             Par Amadou Lamine Sall- poète

 

Pour chanter Aimé Césaire

POUR CHANTER AIMÉ CÉSAIRE
 
        « Nous avons livré aux ténèbres un être resplendissant
                 qui chaque jour nous offrait une étoile » P. Néruda
 
 
  La nouvelle est arrivée dans la
petite robe du jour pétrifié
et toutes les fleurs des langues se sont écloses
dans l'hémorragie du silence tant la douleur a pris entre
ses dents tous les cœurs…
A vous savoir mort Aimé
la mer est morte pour nous
le soleil mort
la terre morte
les mornes désenchantés
les îles des bibelots pierreux
le ciel une muraille fermée aux oiseaux
les volcans ont fermé leurs pages de lave
et ne seront plus des volcans mais des termitières
les livres sont insipides
les mots en faillite voyageurs sans bourse
la poésie entame sa solitude
elle pleure le mari indomptable l'amant infernal
désormais elle donnera des enfants dont
personne ne voudra plus après toi…
   Voici que les arbres entament le dernier bal
les racines rebroussent chemin
les fruits retournent aux fleurs
les fleurs aux bourgeons
les bourgeons aux feuilles
les feuilles aux tiges
les tiges aux pousses
les pousses aux murmures de la bouture
la bouture est sans terre
la terre est sans eau
les pluies sont parties habiter des nuages de bois
le néant comme ta mort Aimé
annule toutes les fièvres de nos élans
et la bouture est retournée aux gestes morts du planteur
et le planteur a clos le rêve de l'arbre
dans sa case il te pleure Aimé
toi la semence nerveuse du python
et comme le semeur nous te pleurons Césaire
car tu étais la terre première le sillon vital
le chant des vents la saison des grands orages
les rire des bananes la promesse des goyaves
et avec toi la canne à sucre a rebaptisé pour
toujours les routes de la sueur
les livres des nègres réécrits à l'encre de la lumière
et l'honneur un tapis de satin  interminable…
    La nouvelle est arrivée dans le petit jour
ce petit matin dont tu resteras le seul maître de langue
ce petit matin baptisé de ton nom
qui dira le petit matin
qui habitera le petit matin
sans nommer la parole de ta parole
ta parole bourdonnante
ta parole de rafale et de salve de canons
ta parole de rapides et de chutes du Zambèze[1] ?
Qui te nommera sans nommer
l'oxygène naissant de ta parole ?
     Depuis cet avril du 17ème jour
le soleil n'est plus le soleil
l'île n'est plus une île
et la Martinique n'est plus seulement la Martinique
elle abrite un tombeau plus grand que son nom
un tombeau qu'elle ne veille pas seule
qu'elle ne veillera plus  jamais seule…
Aimé Césaire est la terre de l'Humain
Aimé  tu es le Noir tu es le Blanc
tu es le Jaune Aimé tu es le Bantou
tu es le Mandingue le Tutsi le Haoussa le Diola
le Berbère le Toucouleur le Bété
tu es le lieu de toutes les parallèles
toutes les convergences souffrantes
la clairière de toutes les dignités irréductibles
en toi tu as décousu toutes les insultes
toutes les humiliations des fils de Cham
toi le nègre de toutes les couleurs
toi l'alliage du rubis et du buisson
    Depuis la nuit noire de ce petit matin d'avril
beaucoup de nids sont tombés
les abeilles ont donné des ruches de miel amer
les champs se sont donné aux
flammes des feux de brousse
les métaphores habitent le vide et l'ennui
le rythme a sauté sur cent mines et
a perdu ses jambes
la poésie a crevé ses tambours amputé ses flûtes
la colère nourricière de ta
langue a mangé toute autre colère…
Quel poème aura la rage de tes
reins le délire de ton sang ?
Quelle poésie nous donnera d'autres enfants viriles ?
Combien de poètes écriront des vers
qui ne connaîtront jamais la virginité du matin ?
Combien de poètes hallucinés venus de terres
irréelles seront triés à la table des dieux ?
         Aimé
merci pour la foudre royale merci pour la rage des vents
pour les étoiles d'or l'âge d'or la parole rougeoyante
merci pour le front cabré  la dignité bleue du messager
merci pour le faste des voiles le gouvernail souverain
merci pour la ruse des baleines le chant de la race
pour le yéla[2] des marins la mémoire
heureuse de Kounta Kinté [3]
merci pour l'Afrique délivrée des tiques 
des quolibets et des puanteurs
lavée des vomisseurs
exempte de toute honte
l'Afrique comme le cœur collectif de la terre
l'Afrique ressuscitée et belle comme la promesse
d'un pagne qui tombe dans l'abandon d'une hanche
l'Afrique lisse rendue à ses jardins de miel
merci pour le Congo Aimé ce Congo à qui
tes consonnes ont rendu ses minerais et
renommé les lettres pourpres de Lumumba[4]
et Haïti dressée comme un étendard ventru d'un
bout à l'autre des océans
Haïti chantée Toussaint Louverture[5] clamé
et tout le cri nègre déverrouillé…
       Merci d'avoir fait de Sédar dans la fécondité des
moussons et les tempêtes des Caraïbes la
mémoire retrouvée du sang et de la peau
et vois-tu il pleut ton nom sur Joal[6]
et les lamantins en procession vendent
leurs complaintes aux danses des vierges de Simal[7]
il est dit que tu es intronisé éléphant de Mbissel[8]…
    Elle est presque guérie notre douleur
guérie par la douleur de ta douleur toute bue
depuis l'aube des nègres
de tes déchirures depuis l'aube des grands ours
elle est guérie maintenant notre douleur
guérie par le bouillon chaud de tes mots
la clameur de feu du nouveau sang d'une
langue dont nous avons écouté l'aveu
dont nous avons entendu le galop sauvage
sans que l'étalon hennissant ne
piétine l'élégance des vieux maîtres de France
d'une langue dont tu as annulé tous les tombeaux
fermé tous les hivers au coutelas
d'une langue faite diamant que tu as abritée sous
un printemps sans fin
d'une langue qui porte les enfants multicolores de
la France de demain une France démesurée et belle
d'une langue qui porte la France plus loin que la France
d'une langue qui dit la France plus grande que la France
une France mieux ouverte à la différence[9]
mieux ouverte aux identités
d'une langue qui invente la France plus solidaire
qui recommence la France féconde
qui pardonne à la France qui s'égare
qui prédit la France plus généreuse que la France
la France plus apte à honorer la France
la France qui ne laissera plus les
roseaux au bord des marais
cette France des barbares morts que le poète a tués…
    Et voici venu le temps inattendu
voici que par ta voix Aimé  la
Négritude a créé le Blanc
et le Blanc rêve de Toussaint de
Samory de Soundiata de Mandela
il rêve de l'arc-en-ciel  des filles
noires de la savane sexe de gazelle bleue
bouche de jujube…
Aimé tu as fait naître et grandir  dans le panier de la
Créolité  une langue de France remontée du
plus bas de la fosse
des Serments de Strasbourg [10] tu as refait les
Serments de Fort-de-France
et une langue de grâce et d'armure est née
une langue de lave et de révolte s'est levée
une langue aux mille portes aux mille issues
aux mille lions aux mille loups
aux mille Aminata aux mille Isabelle
langue de bateaux aux cales calleuses
langue de vent et de forte houle
langue d'horizons de tours et de brousse sans fin
de sang sans fin langue repue de soleil et d'Amazonie
langue de Zoulou et de Bozo
langue de Charlemagne et de Napoléon
langue de corne de flèche d'épée et de satellite
et dans un unique arbre la greffe a tenu Aimé
terre de Paris racine de Dakar
sève des Seychelles feuille du Liban fleur d'Hanoï
saison d'Egypte pluie du Québec fruits de
Fort-de-France
langue de confiture langue de thé
langue de café langue de riz
langue de couscous langue de poulet bicyclette
rencontre et  fraternité
langue d'insolence  de bravade et d'amour…
Et voici que le Quai Conti [11]te doit des dettes d'honneur
puissent les intérêts  nourrir pour
cent ans la fierté de tes enfants
loin dans les saisons futures des savanes des vallées
des mornes et des colibris…
l'infime merveille du colibri dont tu t'étonnais
toujours qu'un corps si frêle puisse supporter
sans éclater le pas de charge d'un cœur qui bat…[12]     
      Tu nous as bien guéri de la haine Aimé
car tu es le fils adoptif qui a baptisé le père
la fille qui a donné à téter à la mère
à la France tu as forgé des mots sur
une enclume de citadelle
et le charbon était nègre qui attisait la langue de France
au bout du petit matin
tu as aboli en toi toute blessure pour être un liséré
et la hache en toi s'est muée en aiguille qui coud
Aimé tu as bien été le guetteur et la trompette
la  terminaison et l'ensemencement
et les silos de l'esprit débordent de graines neuves
       Merci Aimé
merci pour le nègre civilisé jusqu'à la moelle
merci pour la colère cosmique
pour la neige noire et l'hiver tropical
merci pour toutes  les portes ouvertes des syllabes
les désinences de l'âme
les retours du henné sur les lèvres de l'exil
merci pour les rois les chevaliers les écuries
les quatre gouttes de sang
merci pour les joies les pleurs les pluies les jardins
les aînés de la récolte disent merci
Depestre Glissant Maunick Lemoine Maximin Carrère
et tous les autres veilleurs de jour
veilleurs de nuit qui cherchent du
front les mêmes étoiles
merci pour les fers les chaînes intérieurs enfin vaincues
merci pour le sommeil le repas la monnaie le visa
les blessures refermées la soif de l'école
merci pour le pain quotidien de la langue
merci pour les frontières défuntes[13]de la peau
les cheveux défaits de la parole… la poésie
        Aimé
nos larmes ne  seront pas celles des anges
eux dansent car est arrivée la flûte enchantée
le haut aigle
la voix ténor de la grande chorale
gorge de bronze des grandes orgues dans
la cadence tendue des mots à naître au ciel
tu nous les descendras Aimé quand Dieu dort…
        Aimé
Dieu est en apparat pour de longs siècles dit-Il
Il reçoit dit-Il le dernier aîné des initiés…
       Des jours durant pourtant nous l'avons attendri
de nos prières musulmanes
de nos prières chrétiennes
de nos prières païennes
des libations imparables de nos mères
pour que Son décret ne s'accomplisse
le temps d'autres fleurs d'autres fruits…
Mais Dieu aime les poètes
surtout ceux qui ont la foudre dans l'encrier
et toi tu avais et la foudre et l'orage dans l'encrier
et ta plume Aimé des projectiles infaillibles
Dieu t'aimait parce que la poésie t'aimait
et la poésie est l'unique datte dans Sa bouche
dans Ses bras Il t'a pris alors
et t'a couvert de Son Manteau avant que
le 18ème jour ne verdisse pour supplier de te garder
Il te voulait au mois d'avril du 17ème jour
l'avril des manguiers que tu aimais regarder…
Ses mangues te seront plus douces que nos
regards d'amour et de disciples étonnés…
Juin sera le mois des flamboyants et
nous te rechanterons car
les poètes meurent toujours pour nous…
       Du Sénégal je te salue avec
mon peuple  mes talismans et mes baobabs
nous te saluons par l'ordre alphabétique du tam-tam
Nègre fondamental d'Afrique d'abord
Caribéen ensuite au nom de ces tas d'îles [14] belles
mais de sang et de souffrance
Français plus tard par la ruse de l'histoire
et ton nom par la ruse de l'histoire a
agrandi la France et je prédis demain cette
France ouverte comme un corps de
femme à toutes les caresses d'un
désir proclamé deux jours à genoux…
et tu fus Citoyen du monde enfin parce que
tu as porté toute la terre offensée
parce que tu as été là quand l'Homme s'affaissait
quand l'homme courbait l'homme dans
les sous-sols des abîmes de
l'inhumaine condition
Aimé tu ne te révoltais pas seulement contre l'injustice
mais aussi contre les dieux et
les élégantes crapules[15]
avec ton nom Aimé toi le poète germinal
nos baobabs ne perdront plus leur orgueil
et la poésie aura la perpétuité océanique du
souvenir des baisers d'adieu…
         Va  Aimé va
point de césure
nous vaincrons les intempéries
nous fermerons le ciel à l'arrogance des princes
la poésie renaîtra à la poésie par ton seul nom
nous gardons le troupeau
parmi les plus belles de tes génisses
va et comme tu le voulais
« Nous ne désespérerons pas des lucioles »
 
                                            Dakar, le  22 avril 2008 

 

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  • : POEME-TEXTE-TRADUCTION
  • : Pour les passionnés de Littérature je présente ici mes livres qui sont edités chez DAR EL GHARB et EDILIVRE. Des poèmes aussi. De la nouvelle. Des traductions – je ne lis vraiment un texte que si je le lis dans deux sens.
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