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22 mars 2013 5 22 /03 /mars /2013 05:53

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LE FILS

Et c’est à voir dit-on – les dernières cigognes

regagnent le nid – le ciel était trop vaste – intact le

désert – le pain séculaire – on revient avec des bouts

de pieds et des souvenirs – l’odeur renouvelé de

l’antécédent – les cris d’ailleurs – le mutisme net d’ici

dit-on – on récupère mal – on a sous le front le

nombre exact des arbres – pas un ne manque – le

palmier dérouté sans tête – la bourrasque du

printemps – et des plaines nouvelles – l’oued cuve

son sang au pied du piton – le limon est inexact –

soyeux – jaune – fertilisant – à bout portant – les

années de chien – un vieux paysan avait bifurqué

dans une noble famille – où est-il – la guerre avait

amassé les herbes – la feuille féminine de

l’eucalyptus – la gerboise aux courtes pattes – le ciel

pour les feux d’artifice – toutes les chaussures –

guenilles distribuées par l’Américain – les sacs de

toile – le thé – les chiffons des prisonniers Italiens –

des bras de morts – première deuxième guerre

mondiale – sourires au cimetière chrétien – la croix

tombait d’elle-même – la toundra – le désert – on

oubliait la rage – le typhus – le chant pour le dernier

bandit d’honneur – lehoua ou rious ne tentait plus les

mechtas – pas de feu – pas de danse – on mariait sous

pli – vingt kilos de farine – un deux coupons de tissu

– une chèvre –quelques sous – la guerre est là

accroupie – on n’a jamais tendu de pain à l’enfant –

les enfants mouraient comme des mouches – les

hommes les femmes – on veillait le mort avec une

serviette sur le crâne – chaud il pouvait ressusciter –

on buvait beaucoup aussi – anisette rhum – sans faire

de casse – les zerdas – nouvelle peinture pour le

mausolée – verte – nouveaux poulets – chekhchoukha

– sauce – entre deux tombes on parle de la nouvelle

tombe – des valeurs humaines – tout dans le fossé –

l’épée aussi – le courage aussi – le fusil – les insultes

– chaque jour les déboires – les matins de froidure –

l’image du cep de vigne – la promenade des autres sur

le cours Bertagna – leur aller simple en été par St

Cloud Chapuis – les hommes qui trimbalent sur

l’échafaudage un bout de pain – à la ceinture – les

guerres autour d’un bassin – le soir – pour un peu

d’eau le sang – le sang du coq – la danse au ralenti de

la mariée pour son époux – les vomissures des vieux

sur les trottoirs – l’aveugle qui chante – Benbadis

mort réunion – Benbadis mort en prison – des fous

qui faisaient leur guerre tout seuls – à la manière des

sioux – le vin blanc riche en protéine – l’été des

cigales et le chaume – avec des lunes – pleine lune –

l’automne – de nouvelles étoiles un peu partout –

l’école coranique – je demande asile auprès de Dieu –

je – je – je – bâton d’olivier – les premières prières –

qu’on fait mal – le déracinement – la pluie – les vents

avec le bruit des vagues – des coups répétés de sel –

les larmes – la rage – poussière de jardins – pas

touche hein pas touche – chair de poire pour l’autre

enfant – le fouet – ecchymoses – la vache qui meurt –

dernière soûlerie du père – langage francisé – toi

monsieur Claude – toi monsieur Albert – tous tous

comme le renard le faucon la vipère – toi monsieur

Marchant – vomissements – sang – la femme pleure –

les enfants perturbent les couches – la belle mère se

souvient du mari – chant et pleurs pour le défunt – les

voisins qui ne font plus de bruit – la collecte de

l’argent – de nouveaux visages sous l’éclat lumineux

du quinquet – moment solennel – les souvenirs du

père à travers la Forêt-noire – ses contrordres – son

grade pompeux – je ne bois plus je ne bois plus –

pouah sur tout ce qui fait monter la tête – les djellabas

à rayures regardent le plafond – grosses moustaches –

recrutement de l’ancien baroudeur – la guerre – la

guerre – la guerre – les sillons – le boeuf – le sac – les

avions – déferlement des soldats – tuez – tuez – tuez

– tueries au souk – à la mosquée – dans les rues –

sous l’olivier – sur le seuil des maisons – à l’intérieur

des maisons – dans la plaine – pour un mot – pour un

silence – pour rien – le grand frère échappé de la

caserne – deux autres arabes – avec des munitions –

ils ont pris par l’oued – le voisin de gauche incarcéré

– le voisin de droite égorgé – par trahison – la terre

est rouge – cernés les yeux – un train dynamité –

l’autre village à feu et à sang – extermination d’un

demi bataillon – village incendié à moitié – course sur

les chemins de traverses – de Gaulle à Constantine –

vive Soustelle – vive Soustelle – les enfants en foule

– hors de l’école – vive zous tey – El Achi n’est plus

– de très longs hivers – et sont venus mes pères à moi

sanglés d’horreur portant le fusil multiple de mon

premier père ils sont entrés avec le chiffre cinq et le

plus vieux a dit cachez le mal et on poussa le mal

derrière le rideau et le rideau cacha et ne cacha pas

tout puis les sabots et les sabots dans la tête et dans la

nuit la mère resta dans la cheminée parmi les cendres

puis le palmier puis glissement de la mémoire vers les

cigognes regagnant le nid.

– Depuis 1958, dit la vieille.

Le fils aîné bougea sur sa chaise de bois, éteignit

sa cigarette et demanda : vous n’avez pas vu de

médecin ?

La vieille, qui jetait des grains aux poules à

présent, dit : elles ne me laissent jamais tranquille ;

surtout celle-là ; elle montra une vieille poule plus

grosse que toute les autres ; et elle ne pond même

pas.

– Je disais, vous n’avez pas vu de médecin ?

– Si j’avais du temps, dit la vieille, je ferais chauler

les murs de cette cour. Ils n’ont pas été repeints

depuis la guerre. Ils commencent un peu à s’effriter.

Son doigt montra une lézarde.

– Il suffit d’un peu de chaux.

– Oui de la chaux, dit la vieille, mais je n’ai plus

de force aujourd’hui.

– Ça ne demande pas de grands efforts, dit d’une

voix neutre le fils.

– Oui, l’effort, dit la vieille ; puis elle s’adressa

aux poules : allez vous coucher ! allez vous coucher !

c’est fini la journée.

– Je disais il y a un moment : vous n’avez pas vu

de médecin ?

– Si, dit la vieille ! Toute la région, tous les

médecins, tous les mausolées, on me le tuait à coups

de dragées et autres foutaises, mais je le récupérais.

Le fils aîné alluma une nouvelle cigarette. Son

neveu là-bas, dans un coin. Assis à la turque sur une

natte. Propre. Le visage paisible. Il portait une vieille

combinaison de travail. Il regardait devant lui, vers la

porte.

– Et cette combinaison, demanda le fils ?

– C’est un voisin, fit la vieille en guise de réponse.

Puis elle ajouta : eux ne l’oublient jamais ; les jours

où ils ne vont pas à la Sidérurgie, ils le font sortir

parfois.

– Ah ! parce qu’il marche, dit le fils aîné.

– Il fume même, reprit la vieille. Elle observait son

fils qui jouait avec les allumettes et était assez

surprise de son étonnement.

– Et il fume aussi, s’exclama le fils !

À présent, de l’ombre dans la cour. La voix du

muezzin s’éleva, dans l’air, grêle. Chez les voisins,

dans leur cour, attenante à celle de la vieille, on

écouta le père admonester l’un de ses enfants : je ne

veux plus te voir dehors, passé le coucher du soleil !

ta place est ici, ici !

– Ne le gronde pas trop, Ô Hocine, il est encore

jeune, lança la vieille, le regard levé vers le ciel.

– Ne pas le gronder ? Il a découché pendant trois

nuits, Mâ Sâadia, et cette scélérate qui ne m’apprend

sa fugue que cet après midi ; et sais-tu ou je le

retrouve Mâ Sâadia ? L’oued ! Monsieur a appris à

jouer, continuait à vociférer Hocine.

Le fils aîné écouta les propos à travers et pardessus

le mur bas et il comprit que ce devait être une

habitude de se parler d’une cour à l’autre.

– Scélérate ? demanda le fils dans un murmure.

– Sa femme, expliqua la vieille en hochant de la

tête.

Puis le silence de nouveau.

Le fils se remit à observer son neveu qui, lui, pas

une seule fois ne daigna le regarder en face.

– Mais il te dérange parfois.

– Jamais ! dit la vieille. Des fois, il raconte des

choses avec une telle cohérence que je reste tout près

à écouter, mais il mélange tellement qu’on le croirait

né l’autre siècle.

– Je connais, à Alger, un ami médecin.

Sa mère fit comme si elle n’avait pas entendu, prit

une aiguière, procéda à ses ablutions en deux ou trois

gestes, étendit son fichu et pria.

– Celui qui a fait l’appel ce soir est notre voisin, je

l’ai reconnu à la voix, dit-elle, une fois la prière

terminée.

– Il est redevenu calme, constata le fils.

– À l’heure de la prière il est toujours calme ; le

vendredi il n’ouvre presque pas la bouche.

– Je connais à Alger un ami médecin.

– Pour le tuer ou pour quoi faire.

– Pour le soigner !

– Ainsi, tu dois être bien établi à Alger.

– Oui, fit le fils.

– Tu dois être marié, aussi !

– Oui, dit le fils ; deux gosses.

– Et c’est tellement loin d’ici que tu n’es plus

revenu depuis la guerre ?

– Le travail ; et c’est très loin d’ici, se mit à

baragouiner le fils, tout en se justifiant pendant plus

d’un quart d’heure. Il parla de sa femme malade, du

temps. Puis il ajouta à la fin : le médecin que je

connais à Alger le retapera de nouveau.

– Il est mieux comme ça, dit la mère. Ces choseslà,

ça n’a pas de médecine.

– Sa mère… sa mère, on m’a dit qu’elle était

devenue folle avant de mourir, avança le fils, parlant

de sa soeur en cherchant les mots.

– Mon mari martyr, mon gendre martyr, ma fille

prise de force par un groupe de goumiers sous le

regard de celui-ci qui jettera une année après le bébé

de la honte dans le puits. Dieu que me réserves-tu de

plus ? Mon Dieu ! Mon Dieu ! Et la vieille se mit à

renifler dans son châle.

– Il est dangereux parfois, non ?

– Jamais ! Apres la mort du plus petit, nous avions

été obligés moi et les voisins de l’hospitaliser, elle.

Un jour, elle revint jusqu’ici pour se jeter dans la

Seybouse. Depuis, je constatais qu’il y a moins de

colère dans ses discours.

La vieille se mit à pleurer doucement. Longtemps.

Puis elle essuya ses larmes pour dire en hoquetant : la

guerre, les morts, et en plus la honte… il n’y a pas

que ma fille… d’autres femmes dans ce village

même… à croire que toute la turpitude de la guerre…

– Et Ali, demanda le fils aîné ?

– Ton frère est à Biskra ; et cela fait dix ans qu’il

n’est pas venu me rendre visite, lui aussi ; mais je sais

que vous réintégrerez le patelin une fois nous deux

disparus.

– Pourquoi croire à ces choses-là.

– Moi et lui, on vous fait honte, Salem ; et sais-tu

ce que les langues d’aujourd’hui radotent : ta défunte

soeur faisait cela bien avant la guerre ; et lui-même,

par votre attitude – elle montra le petit-fils – il se croit

bâtard, voila la vérité ; et tu viens pour me dire qu’il y

a un médecin à Alger.

Le fils aîné se mit debout, épousseta ses genoux et

demanda : et Ouardia ?

– Ni elle, ni son mari, ni ses enfants, ne me rendent

visite ! La vieille regardait en direction de l’autre

quartier, à travers un mur de la cour, où habitait sa

fille.

– Il faut que je te quitte, mère, balbutia le fils aîné

en se donnant quelques autres tapes de ses paumes sur

les genoux.

– Tu passeras le bonjour à Ouardia et à tous ses

enfants ; tu lui diras aussi qu’Ali et ses oncles ne

m’ont pas encore envoyé la dîme de l’année.

– Que veux-tu, son mari m’a vu le premier et il

m’a invité à passer la nuit, dit le fils aîné qui semblait

n’avoir pas entendu la doléance de la vieille.

– Tu pars demain, alors ?

– À l’aube, fit le fils aîné dans un souffle.

Apres le départ de Salem, la vieille ferma la porte

du dehors et revint s’asseoir près du petit-fils.

Puis lentement se mit à chanter.

je pleure et je pleure encor

dit le chameau

je pleure et je pleure encor

sur ma vie

douleurs et souffrances

dit le chameau

je pleure et je clopine

avec les larmes baignant mes joues

eux disent

les soldats sont de passage

ils s’exercent

jeux et discipline

je pleure O rage

on me fit marcher

sur des chemins de traverse

le dos surchargé

portes poutres et ferrailles

je pleure affligé

à la seule vue du colon

de ses bâtisses

eux disent

du matériel en réserve

portes poutres et ferrailles

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