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25 mai 2012 5 25 /05 /mai /2012 08:23

Jacques Dupin 

A Pierre Reverdy

j’adhère à cette plaque de foyer 
je rends ton enfant à la vague 
je tourne le dos à la mer. 
 
reconquise sur le tumulte et le silence 
également hostiles, 
la parole mal équarrie mais assaillante 
brusquement se soulève 
et troue l’air assombri par un vol compact 
de chimères. 
le tirant d’obscurité du poème 
redresse la route effacée. 
 
il neige au-dessus des mots. 
après tant de voyages violents 
entre la table et la fenêtre ouverte, 
toutes choses et ta soif devinrent transparence 
et profonde allégresse obscure... 
il neige au-dessus de nous : 
ce que tu taisais, je l’entends 
 
 
Jacques Dupin, M’introduire dans ton histoire, P.O.L., 2007, p. 45 
 
• 
 
    le réel en retour, offre toutes ses faces, 
ensemble, à ta seule étreinte fixe, 
nulle prise tenue, retenue, mais l’excavation blanche, 
la lettre volée, le rapt éclairant, 
 
 
    un chavirement de l’étendue dans la lumière, 
seule à répercuter 
                     l’embolie du ciel 
 
à donner espace à ce bleu désuni qui s’allège 
ce bleu de fonte, béant, de substance musicale, 
comme d’un mur de terre et de fleurs 
 
s’écroulant contre nos genoux 
 
et resurgissant, lavé, bleu, sans nom 
 
Jacques Dupin, Contumace, in Ballast, Poésie/Gallimard, 2009, p. 101.

 

 

Écrivant rune
comme précipice


écriture
de l’absence
de gouffre

où glisse la loutre empanachée


toi
surveillance de tous les instants
aux frontières
quand les cristaux sont à nu

équidistants
de la rage
et de la famine


l’illusion mesure
l’avancement des travaux

rien qu’une image

qui s’enfonce


dans le glacier

*

Consumé ou en partance
un amour de bruyère, un genou
dans l’humidité
les fougères bordant l’eau


j’ai cueilli tôt le matin
la mirabelle
et donné l’orge aux chevaux



les rêves sont insipides
quand ils dorment seuls

mais il prennent appui sur le corps
sur la forêt, sur la mer

ils ne parlent pas ma langue
ils ahanent, ouvrent des yeux

il tirent
la force, de cette invisible

poussée de poussière
de ma vie détruite

dans la commotion de l’air
le sommeil troué


Jacques Dupin, Ballast, Poésie/Gallimard, 2009, pp. 52 et 244. Le premier poème est extrait du livre Contumace, le second de Le Grésil

 

 

 

 

Le partage

 

Une larme de toi fait monter la colonne du chant.
Une larme la ruine, et toute lumière est inhabitée.

 

La corde que je tresse, la rose que j’expie,
N’ont pas à redouter de lumière plus droite.

 

Le peu d’obscurité que je dilapide en montant
C’est de l’air qui me manque à l’approche des cimes.

 

Par le versant abrupt, la plus libre des routes,
Malgré le timon de la foudre et mes vomissements.

 

 

L’initiale

 

Poussière fine et sèche dans le vent,
Je t’appelle, je t’appartiens,
Poussière, trait pour trait,
Que ton visage soit le mien,
Inscrutable dans le vent.

 

 

Jacques Dupin, Gravir, Gallimard, 1963, p. 29 et 59

 

 

Le partage

 

 

Une larme de toi fait monter la colonne du chant.
Une larme la ruine, et toute lumière est inhabitée.

 

La corde que je tresse, la rose que j’expie,
N’ont pas à redouter de lumière plus droite.

 

Le peu d’obscurité que je dilapide en montant
C’est de l’air qui me manque à l’approche des cimes.

 

Par le versant abrupt, la plus libre des routes,
Malgré le timon de la foudre et mes vomissements.

 

Jacques Dupin, Gravir, Gallimard, 1963, p. 29

 

 

 

Grand vent

 

Nous n’appartenons qu’au sentier de montagne
Qui serpente au soleil entre la sauge et le lichen
Et s’élance à la nuit, chemin de crête,
À la rencontre des constellations.
Nous avons rapproché des sommets
La limite des terres arables.
Les graines éclatent dans nos poings.
Les flammes rentrent dans nos os.
Que le fumier monte à dos d’hommes jusqu’à nous !
Que la vigne et le seigle répliquent
À la vieillesse du volcan !
Les fruits de l’orgueil, les fruits du basalte
Mûriront sous les coups
Qui nous rendent visibles.
La chair endurera ce que l’œil a souffert,
Ce que les loups n’ont pas rêvé
Avant de descendre à la mer.

 

Jacques Dupin, Gravir, Gallimard, 1963, p. 23

 

 

la page lustrée, le pelage du loup

être tiré par les mots
pénétrer dans la caverne
imprégner le tissu de l’écoute

le mal de vivre, la soif
de la couleur
                et le geste qui la répand

L’espace est à l’oiseau, à la femme
qui danse, le sol est dur
l’air vibre comme un caillou

il fallait pincer les plantes
comme il est écrit dans un livre

le ciel tournait à l’orage
le martinet volant bas
                 était l’éclaireur
le confident de la foudre

l’apprenti de la douleur

Jacques Dupin, Coudrier, P.O.L., 2006, p. 15.

Romance aveugle


Je suis perdu dans le bois
dans la voix d’une étrangère
scabreuse et cassée comme si
une aiguille perçant la langue
habitait le cri perdu

coupe claire des images
musique en dessous déchirée
dans un emmêlement de sources
et de ronces tronçonnées
comme si j’étais sans voix

c’en est fait de la rivière
c’en est fini du sous-bois
les images sont recluses
sur le point de se détruire
avant de regagner sans hâte

la sauvagerie de la gorge
et les précipices du ciel
le caméléon nuptial
se détache de la question

c’en est fini de la rivière
c’en est fait de la chanson

l’écriture se désagrège
éclipse des feuilles d’angle
le rapt et le creusement
dont s’allège sur la langue
la profanation circulaire

d’un bout de bête blessée
la romance aveugle crie loin

que saisir d’elle à fleur et cendre
et dans l’approche de la peau
et qui le pourrait au bord
de l’horreur indifférenciée

[...]
Jacques Dupin, Romance aveugle, dans Chansons troglodytes, Fata Morgana, 1989,

 

 

 

 

rien ne m'empêchera d'avoir tort – même si l'autre

est une vague de fougères, une oscillation

la caille étape, le geai cajole, le raisin

mûrit – j'écris sur le vide, j'écris dans la nuit

une araire défonce et sculpte le dos des dieux

personne, ni toi, ne lira ce qui est transparent

la métonymie du fond, le partage des dépouilles

Jacques Dupin, "l'Esclandre", Rien encore, tout déjà, Seghers >Poésie d'abord, 2002, p. 107

 

 

 

Imaginons
Que s'écroule la prison

Alors le souffle se dégage
Et se perd, se plante en pleine terre
Pour resurgir, s'égailler

se livrer au nuage blanc,
franchir son propre désert,
un nulle part matriciel asséchant –

il plonge à travers ses orages
le souffle - à nouveau vivant."

Jacques Dupin, le Corps clairvoyant, 1963, 1982, Poésie/Gallimard 1999, p. 244.

 

 

 

TREMBLEMENT

Des colonnes d’odeurs sauvages
Me hissent jusqu’à toi,
Langue rocheuse révélée
Sous la transparence d’un lac de cratère.

Fronde rivale, liens errants
Une vie antérieure
Impatiente comme la houle,
Se presse et grandit contre moi

Et, goutte à goutte, injecte son venin
Aux feuillets d’un livre qui s’assombrit
Pour être mieux lu par la flamme.

De ce ramas de mots détruits
Entre les ais de la mort imprenable
Naîtra la plante vulnéraire

Et le vent noueux au-delà
Jacques Dupin, Le corps clairvoyant, 1963-1982, Poésie/Gallimard n° 340, 1999

 

 

Qui que quoi dont d’où
la cantilène expulsée

atteindrait le point
où se peut écrire
sans penser

il casse une lettre
il ébruite trois
la lettre cassée s’endort

quoi relire quoi
merveille
à l’instant de l’air
déchiré

et recommence ou commence
à ouvrir la boucle, à éreinter
la monture

à piaffer de rire
dans la glu du marigot

si je le dois je le fais

je ne dois rien je le fais

l’encre devient invisible

l’espace de l’écriture
une cage électrifiée

qui soude persécuteur
et persécuté
Jacques Dupin, Sept poèmes, revue Action Poétique n° 172, juin 2003, p

 

 

Du sec, le courbement, la plongée -
ou son pas, son cheval abattu,
quelques bleuets, la violence
de l'heure par le fer blessée

tandis qu'au fond du labour s'égoutte
la sang supplicié,
l'heure de la mort, bleuet, avec le chaume
qui s'enterre et qui ment, sans hâte, selon
l'exorable courbement du soc

il tire sur la longe du cheval mort,
derrière nous, l'oeil pyramidal -

devant nous une épaisse pluie sans défauts
et presque sans images -
de celles qui donnent la fièvre aux corbeaux

 

 

 

 

 

 


Entre la diane du poème et son tarissement

par une brèche ouverte
dans le flanc tigré de la montagne

elle jaillit, l’amande du feu,
la jeune nuit à jeun
derrière la nuit démantelée

comme elle se doit elle se donne
et brûle
avec de froides précautions

l’ouragan fait souche
un éclair unit

la nuit à la nuit

 

****


Ouverte en peu de mots,
comme par un remous, dans quelque mur,
une embrasure, pas même une fenêtre

pour maintenir à bout de bras
cette contrée de nuit où le chemin se perd,

à bout de forces une parole nue

 

****


Sous le couvert la nuit venue
mon territoire ta pâleur

de grands arbres se mouvant
comme un feu plus noir

et le dernier serpent qui veille
en travers du dernier chemin

fraîcheur pourtant de la parole et de l’herbe
comme un souffle la vie durant

 

 

 

 

 

 

 

Comme franchies la stridence,

la grille,

et sur la dalle de nulle part

fermant les yeux –

 

la parole, de silence comblée,

résonne plus bas. Il vient

 

traversant l’essaim du désastre

faisant corps avec la nuit.

 

 

 

Dans l’abrupte

l’étroite

gorge du jour se levant

 

mais le souffle secouru

par la neige, il se détache, là,

comme si le souffle encore

attaquait de nouvelles parois

 

||

 

Par un détour, sa parole,

lui, le plus exposé,

 

sur cette pente, précisément cette pente,

il vient de toucher de l’ongle

une fleur qui se rétracte – et se multiplie…

 

Décorporée sa passion, à la fourche du chemin,

jusqu’à casser le sens, non la fleur,

pour un recueil de rosée

 

 

 

Un cœur dans le cœur comme une pierre

d’éboulis refroidie au soleil,

une autre voix, du lointain

à tout autre visage accordée –

 

pierre et voix soustraites

à jamais soustraites à la numération

des mots meurtriers.

 

||

 

Unisson de la blessure

et des plantes amères

où se noue et glisse

une cordée d’espace,

son souffle tire, le souffle du roncier –

 

une lampe saisie de frayeur

jusqu’à nous se hisse

avec ce qu’a rompu l’incantation

balbutiante, la lumière –

 

tire un corps de la contre-parole,

un visage lisse après l’ouragan

 

 

 

Risque de chaque mot, vrille

de chaque mot contre soi retournée,

si près de l’obscur

qu’il en touche le fil et la faille

et la voix presque de silence

sous le halètement de la chimère.

 

Jacques Dupin

M’Introduire dans ton histoire,

 

 

 

 

Extrait :

« Une goutte de ton sang

des senteurs

de préhistoire »

« Meurtre non savoir

un effet de surface

et de soufre »

« Une encoche

dans le buis

seule

signe »

Le corps clairvoyant(1963-1982), Gallimard, Collection Poésie / Gallimard, 1999, pp.318, 320, 331

Jacques Dupin : le corps clairvoyant [extrait 12]


Imaginons
que s'écroule la prison

alors le souffle se dégage
et se perd, se plante en pleine terre
pour resurgir, s'égailler

se livrer au nuage blanc,
franchir son propre désert,
un nulle part matriciel asséchant -

il plonge à travers ses orages
le souffle - à nouveau vivant
                  Jacques Dupin, Le corps clairvoyant, Poésie/Gallimard

 

 

Jacques Dupin : Le corps clairvoyant [extrait 11]



Reste le seul battement
D'une minuscule agonie désirable
Dans les hauts jardins refermés.

La scansion de l'affreux murmure te dégrade:
Ecourte ta journée, enterre tes outils.
Jacques Dupin, Le corps clairvoyant, Poésie/Gallimard

Il compte les arbres jusqu'à la source. Son balbutiement allège la jonchée des feuilles...
   Un enfant. Un enfant perdu, sauvé... Un corps léger, raclant le fond de la mer...
     
          Jacques Dupin, Le corps clairvoyant, Poésie/Gallimard

 

 

 

Jacques Dupin: Le corps clairvoyant(Extrait 10]


Elle qui me connaît trop, soeur cassante, comète scrupuleuse allant d'un ciel mental engorgé à un coeur où l'angoisse a fait le vide, je renonce à la tuer. Chose nue, introuvable et paralysante, sa mort ne m'a rien coûté. De son bannissement, de son agonie perpétuée, je tire un bonheur faillible, des lèvres durcies au feu, et la chance d'un plus haut voyage.


Jacques Dupin, L'artifice majeur in Le corps clairvoyant, Poésie/Gallimard

Jacques Dupin: Le corps clairvoyant(Extrait 9]


Ouverte en peu de mots,
comme par un remous, dans quelque mur,
une embrasure, pas même une fenêtre

pour maintenir à bout de bras
cette contrée de nuit où le chemin se perd,

à bout de forces une parole nue

      Jacques Dupin, Le corps clairvoyant, Poésie/Gallimard

Jacques Dupin: Le corps clairvoyant (Extrait 8)


Plein silence
des mots
excentrique vol exclamatoire
pour un détournement violent de ton corps
sa raison révolutionnaire
   Jacques Dupin, Le corps clairvoyant, Poésie/Gallimard

 

 

 

Jacques Dupin: Le corps clairvoyant (Extrait 7]


La feuille déchirée pour lumière
sur le sol consolidé
nous marchons

Jacques Dupin: Le corps clairvoyant (Extrait 6]


   Il compte les arbres jusqu'à la source. Son balbutiement allège la jonchée des feuilles...
   Un enfant. Un enfant perdu, sauvé... Un corps léger, raclant le fond de la mer...
   Jacques Dupin, Le corps clairvoyant, 1963-1982, Poésie/Gallimard

Jacques Dupin: Le corps clairvoyant (Extrait 5]

 

Il manque une heure au cadran. Le temps d'accourir et de te surprendre, déesse dégrafée par le parfum du basilic. Dans la stridulation de la chaleur... Non loin d'un mur de pierres pauvres, -aux joints extravagants.
        Jacques Dupin

 

 

Jacques Dupin : Le corps clairvoyan t(4)


           Tu les désires, ces poissons vivants dans la mer.

       Tels, je te les donnerai, - ou rien. Vivants poissons
       dans la mer. 
                Jacques Dupin in Le corps clairvoyant Poésie/Gallimard

Mardi 18 avril 2006 2 18 /04 /Avr /2006 00:08

Jacques Dupin :Le corps clairvoyant(3)


Sous le couvert de la nuit venue
mon territoire ta pâleur

de grands arbres se mouvant
comme un feu plus noir

et le dernier serpent qui veille
en travers du dernier chemin

fraîcheur pourtant de la parole et de l'herbe
comme un souffle la vie durant

     Jacques Dupin in Le corps clairvoyant Poésie/Gallimard

Jacques Dupin :Le corps clairvoyant(2)


Sorbes de la nuit d'été
étoiles enfantines
syllabes muettes du futur amour

quand les flammes progressent de poutre en poutre
sous nos toits

exiguë
la définition du ciel.

Jacques Dupin in Le corps clairvoyant   Poésie/Gallimard

 

 

Jacques Dupin:Le corps clairvoyant(1)

Rentre tout de même ta récolte incendiée.
Et va-t'en, les mains ouvertes, le sang dur.

Il reste une enclave inconnue dans ce corps séparé,
Une route dans ma route,

Et la rauque jubilation de l'espace affamé.

La lumière affectionne les torrents taris,
Les lèvres éclatées.

Va-t'en, la maison est en ordre,
l'épieu du vent la traverse.


       
Jacques Dupin in Le corps clairvoyant Poésie/Gallimard

 

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